PRESENTATION DU CONGRES
RIRRA21
SIELEC Colloque
international : 29-30 mai 2008
Nice
L’AVENTURE COLONIALE
ENTRE POLITIQUES D’EMPIRE &
MARGINALITES
Nice, 29-30 mai 2008
Salle du Conseil de l’UFR Lettres
98 boulevard
Edouard-Herriot, 06204, Nice Cedex 3
Résumé des communications
Amina Aouchar
Institut Universitaire de la
Recherche Scientifique
Université Mohammed
V-Souissi
Henri Terrasse,
l’ambivalence d’une œuvre
L’œuvre de Terrasse
concernant le Maroc est pléthorique. Historien, il publie de nombreux articles
et ouvrages sur l’histoire du Royaume ; en 1949-50 paraît l’Histoire du Maroc des origines à 1912,
véritable somme, source incontournable de l’histoire du pays.
Archéologue et restaurateur,
responsable du service des Monuments historiques de 1935 à 1957, il contribue
puissamment à la connaissance et à la préservation du patrimoine architectural hispano-mauresque,
sujet de sa thèse soutenue en 1933, mais aussi à l’étude de l’architecture
berbère et des kasbah de l’Atlas. Ses recherches sur les arts décoratifs, sur
les us, les coutumes , etc., demeurent des travaux de référence.
Enseignant, Terrasse a
contribué à former à Rabat et à Alger des générations de chercheurs.
Après l’accession du Maroc à
l’indépendance, durant des décennies, ses travaux servent de base à la
recherche historique, sont abondamment cités, plagiés parfois, utilisés sans
référence souvent. Mais ce n’est que plus d’une cinquantaine d’années après leur
parution que certains de ses ouvrages sont réédités, mais sans mise à jour ni
préface. Aujourd’hui encore, aucun de ses ouvrages n’a été traduit en arabe.
Certes, la réception de
l’œuvre de Terrasse dans le Maroc post indépendance n’est pas exceptionnelle.
Il en est de même pour les ouvrages de Laoust, de Montagne, de Marçais, etc.. Mais
il nous semble intéressant, en tant qu’historienne, de tenter de comprendre ce
qu’a représenté le Maroc pour Terrasse, cet « historien colonial ».
Comment en est-il arrivé à tant s’investir dans la recherche et la préservation
du patrimoine marocain ? Comment expliquer à la fois la fascination que
semble lui avoir inspiré ce pays et les réticences, visibles à travers ses
textes, qui l’éloignent définitivement du Maroc à partir de 1957 ? Comment
expliquer cette reconnaissance implicite ou explicite de son apport à la
connaissance de l’histoire du Maroc qui s’accompagne d’une occultation de la
personne de l’historien jusqu’à nos jours ? Comment comprendre ce rapport
nouveau à son œuvre qui inspire les rééditions récentes ?
Terrasse et le Maroc, le
Maroc et Terrasse, ce sont les rapports ambigus qu’entretient l’historien avec
son terrain d’investigation, mais aussi les relations qu’entretient la
recherche historique marocaine contemporaine avec l’historien qui feront
l’objet de cette communication.
Jean-Claude Blachère
Université de Montpellier III
Aventures ambiguës
Il s'agira d'explorer le continent de l'Aventure
coloniale, pour y traquer l'équivoque. Dans les récits d'aventure, les
narrateurs obéissent à une sorte de modèle thématique ou/et une posture
idéologique pour parvenir à élaborer leur image d'aventurier : magnifier les risques
courus, prendre ses distances avec les "colons", afficher une
transgression des usages et des commodités. Mais, dans la réalité telle qu'elle
se laisse saisir entre les lignes, on mesure les limites de cette volonté de
rupture : compromissions et complicités avec la "situation
coloniale", obéissance aux contraintes administratives... Ce travail
s'appuie principalement sur les livres de deux écrivains
"arénicoles", sahariens des années 30 : Odette du Puigaudeau et
Théodore Monod.
Denise Coussy
Professeur honoraire Université du Mans
« ‘Paradis’, de Abdulrazak Gurnah »
En 1994, le romancier tanzanien Abdulrazak Gurnah a
fait paraître en anglais un roman, Paradise
qui a été immédiatement traduit en français (sous le titre Paradis). C’est un texte qui se déroule dans une époque jusque là
fort peu évoquée (celle des années précédant la première guerre mondiale) et
dans un espace également fort peu exploité (celui des déserts et des côtes de
l’Est Africain). Ce double choix historique et géographique permet à l’écrivain
de faire évoluer son récit en prenant en compte la gloire (puis la chute) des
empires arabes caravaniers, la main mise progressive des différents colonisateurs
(allemands et belges) et l’impuissance des africains devant cette succession de
dominations.
Dans
ce contexte de « mondes qui s’effondrent »,
le romancier propose comme héros un tout jeune homme, Yusuf, qui
va être la
victime de tous ces soubresauts de l’histoire. Exploité
par un marchand arabe
(à qui son père l’avait
«prêté», pour ne pas dire vendu), cet
être sans défense
va être entraîné dans des voyages caravaniers
somptueux mais inhospitaliers au
cœur du continent. Il va, ensuite, devenir le serviteur de ce
commerçant riche
de la côte et subir vexations et brimades insidieuses au sein
d’une maison où
règnent intrigues et trahisons. Se sentant exclus à
jamais de toute société, il
parviendra à trouver un refuge éphémère
dans le jardin
« paradisiaque » de cette demeure mais finira par
en être chassé.
Dans les toutes dernières lignes du livre, on le verra rejoindre
une colonne de
recruteurs allemands qui passait par là pour enrôler des
jeunes gens. En un
dernier geste de soumission dont il ne mesure visiblement pas les
conséquences,
Yusuf va donc changer de maîtres mais ce ne sera que pour devenir
un agent de
la colonisation.
A la fois fresque historique (qui décrit comment, il y
a plus de cent ans, cette partie du monde a été le théâtre de bouleversements
violents dont les traces sont encore visibles de nos jours) et chronique
personnelle (qui s’attarde, de façon très moderne, à décrypter, dès cette
époque, la tragédie du déracinement), ce récit parfaitement maîtrisé parvient à
présenter, avec une lucidité nostalgique très attachante, les réalités et les
chimères de l’aventure coloniale.
Odile Gannier
Université de Nice
Femmes de "pionniers" en
voyage :
des journaux presque oubliés
De 1851,
date du voyage de « Mme Giovanni » publié par les soins d’Alexandre
Dumas, et 1939, époque où Rayliane de la Falaise publie son propre journal de
voyage en Amazonie, Caraja Kou,
l’espace habituellement parcouru par les femmes a bien changé. Raymonde
Bonnetain, elle, accompagne son mari en Afrique dans les années 1890 et raconte
ses aventures dans Une Française au
Soudan. On pourrait aussi citer, dans la même veine, le journal de Léonie
d’Aunet au Spitzberg en 1839. Ces femmes ne voyagent pas seules, comme de
véritables aventurières : elles sont sagement les compagnes de leurs
époux, chargés eux d’une véritable mission. Elles mêmes semblent donner un sens
personnel à leur expédition, souvent tenue pour déraisonnable, par la tenue
d’un journal. Récits, description, analyses, le journal accueille tout, dans la
commodité de la chronologie, l’accent étant mis sur les anecdotes piquantes,
les minuties du voyage et les conditions matérielles qui font, comme le souligne
Mme Bonnetain, qu’on lit Robinson avec intérêt « parce que l’on le voit
s’ingénier à vivre ». Ne sont-elles que des « ménagères
itinérantes » (J.-M. Seillan) ? À la frontière entre le journal tenu
pour tromper l’ennui et le récit romancé familier tourné pour divertir et
renseigner les proches, ces textes ne sont pas véritablement voués à une
publication plus large et de fait, ni l’histoire ni la littérature ne gardent
guère de souvenirs de ces femmes et de leurs relations. Assez proches cependant
de ce que les revues hebdomadaires de l’époque peuvent publier, ils sont
cependant loin d’être dépourvus d’intérêt, proposant, en marge des
habituelles protestations d’incompétence et la légèreté du ton, des ingrédients
du romanesque « colonial ».
Rémi Gasiglia
Université de Nice
"I raro de noste mounde"
(aux frontières de notre monde).
Les Conte de la mar e dis isclo, nouvelles coloniales en provençal
de Louis Bayle (1949).
Situés à Madagascar, dans les
dépendances de la grande île et aux Comores, les Conte de la mar e dis isclo (Contes de la mer et des îles) de Louis Bayle (1907-1989), qui
obtinrent le Prix Frédéric Mistral en 1949 et dont la version française fut
préfacée par Henri Bosco, constituent l'une des rares contributions en langue
d'oc à la littérature coloniale.
Le
propos sera d'examiner comment, dans ces dix nouvelles empreintes de souvenirs
conradiens, d'humour, de fantastique et de tragique, l'aventurier européen,
exilé de son propre monde mais placé sur les bords d'un univers
"inconnaissable", fait l'expérience des limites de la conscience et
de l'existence.
Maria Chiara Gnocchi
Université de Bologne
Le Blanc, le Noir et… l’Autre.
Stratégies discursives coloniales (1875-1914)
Les travaux portant sur l’imagologie typique de la
littérature coloniale ont tendance à se concentrer sur deux figures majeures :
le Blanc et le Noir. Souvent très fécondes, ces analyses négligent toutefois,
dans la plupart des cas, un élément fondamental qui entre en jeu et qui a des
conséquences énormes sur la représentation à la foi du Soi de l’Autre. En
effet, dans les textes coloniaux qui paraissent entre la fin du XIXe et le
début du XXe siècle, le binôme homme européen – homme centrafricain cède le
plus souvent le pas à un trinôme. Le troisième élément, c’est l’Arabe, figure
vague en principe, mais dans ces discours en fait objectivée selon des critères
précis. L’arabe, c’est le négrier, l’esclavagiste, l’exploiteur mesquin des
populations locales. L’Européen reconnaît dans ce personnage fourbe, cruel et
faux son ennemi véritable, auquel sont attribuées des caractéristiques
totalement différentes par rapport à celles des populations noires. Il s’agit
d’une stratégie discursive particulièrement habile, qui permet au sujet
européen de se présenter dans le rôle non pas de conquéreur, d’envahisseur,
d’exploiteur, mais de délivreur, de vengeur presque, au profit d’un peuple jugé
incapable de se défendre.
Mon corpus sera composé d’essais, de récits de
voyages, d’œuvres de fiction inspirés par l’exploration et l’occupation de
l’Afrique centrale et publiés en France ou en Belgique pendant "l’ère des
Empires" (1875-1914).
Jean-Pierre Jardel
Université de Nice (ethnologie)
La construction et la
diffusion du rêve "exotique et l'idéologie coloniale :
le cas de la
Nouvelle-Calédonie, terre d'émigration et d'avenir
Quelque temps après les
événements tragiques de la Commune le journal L'Illustration publiait, le 22 juillet 1871, un article concernant
la Nouvelle-Calédonie et les Néo-Calédoniens. On sait que ce journal s'était
fait le défenseur du fait colonial et de la colonisation en s'appuyant sur une
doctrine mise en place à cette époque par Jules Duval. Il fallait encourager
l'exploitation des colonies et favoriser le commerce avec ses territoires
éloignés. Or, la Nouvelle-Calédonie était devenue un lieu de transportation.
Comment alors encourager le peuplement de cette colonie où l'on envoyait des
forçats et où vivaient des populations "cannibales". Quels ont été les
arguments mis en avant par le rédacteur pour créer un rêve néo-calédonien, pour
susciter un espoir et encourager les départs? Quelles sont les sources sur
lesquelles s'est appuyé l'auteur du texte ? Quels sont les éléments qui ont
participé à la construction de la représentation de cette colonie lointaine ?
Comment ont été articulés l'anecdotique, le descriptif et le narratif. On
tentera de répondre à ces questions en analysant l'article cité, signé Richard
Cortambert, lequel à plusieurs reprises s'est référé au voyage de Jules Garnier
dans cette région du monde. On mesurera également la part de l'idéologie dans
la structuration de ce discours "textuel.
Matthieu Letourneux
Université de Paris X-Nanterre
Littérature coloniale sérielle, entre fossilisation et
transformations.
L’exemple du Livre National bleu.
Avec l’avènement des collections populaires au début
du XXe siècle, le roman d’aventures coloniales entre dans sa période
de sérialisation industrielle. Les collections spécialisées se multiplient chez
chaque éditeur populaire (Offenstadt, Ferenczi, Tallandier, Les Editions Modernes)
selon un principe de recyclage généralisé des auteurs, des thèmes, des
intrigues et même de la matérialité des supports. Cette sérialisation extrême,
qui passe par une évidente dégradation des écritures et des ambitions (littéraires,
didactiques, discursives…), a contribué à construire un discours critique sur
cette littérature de bas étage la réduisant à une simple reformulation
anachronique des motifs verniens et post-verniens (ceux de Boussenard, de Paul
d’Ivoi, du capitaine Danrit, etc.) dans laquelle ne resteraient plus que des
stéréotypes sans relation avec les changements de la réalité coloniale. Ainsi,
le monde, son évolution, comme les changements politiques intervenus au cours
des décennies de l’entre-deux guerres, n’auraient guère affecté cette
littérature désuète, liée à un regard fossile sur le globe. Cela expliquerait
que la critique qui fait porter ses analyses sur le discours colonial en
littérature a eu tendance à négliger ce massif fictionnel touffu pour lui
préférer des champs d’investigations plus originaux : traductions, œuvres
plus atypiques, discours d’écrivains plus légitimés, etc. Pourtant, le succès
durable de ces collections nous invite à penser aussi leur relation au monde à
la fois en termes de construction idéologique de la réalité et de discours sur
le monde extérieur le reflétant malgré tout.
En nous intéressant à l’une de ces collections
sérielles les plus importantes en terme de titres et de tirages, la collection
des Tallandier bleus (dans sa version de l’entre-deux guerres), nous tenterons
de mener de front ces deux lectures contradictoires : il s’agira d’une
part d’expliquer comment la logique stéréotypique qui préside à ce type de collections
impose un tel écart entre les œuvres et le monde dont elles prétendent parler
et à propos duquel elles contribuent à construire notre regard. Mais nous chercherons
aussi à l’inverse à montrer dans quelle mesure cette stéréotypie subit un
ensemble de transformations elles-mêmes sérielles, des ajustements qui semblent
correspondre aux mutations du monde (montée en puissance du communisme, des
mouvements nationalistes, des oppositions géopolitiques, etc.).
Notre propos sera de tenter de réfléchir aux mécanismes
qui permettent de combiner une écriture stéréotypique et une adaptation de ces
stéréotypes à l’évolution de la situation coloniale, et de nous demander dans
quelle mesure cette évolution est le fait d’un discours auctorial, ou la
conséquence d’une logique générique. Ainsi tenterons-nous de réfléchir à la
fois en terme de mécanismes d’écriture et de discours sur le monde.
Roger Little
Trinity College, Dublin
Avatars de l'aventurier :
Réflexions sur la fiction et la réalité
à travers trois exemples de nature et d'époque différentes
Le
type même de l'aventurier colonial serait
parfaitement représenté dans la fiction par Issa Ndiaye,
autrement dit Carbon
de Carbone, dans L'Aventure sur le Niger (1913) de Robert Randau. Un
portrait
de l'aventurier comme en creux se dessine dans Les Flamboyants de
Patrick
Grainville, roman qui lui a valu le prix Goncourt en 1976. Mais que ces
portraits, présentés en une langue souvent emphatique et
boursouflée,
paraissent tous les deux pâles et caricaturaux contre le
témoignage d'un vrai
aventurier tel Gaspard Théodore Mollien, pourtant si peu connu,
dont le voyage
aux sources du Sénégal en 1818 précède
celui de René Caillié et n'est
précédé
que par celui de l'Écossais Mungo Park.
Richard Samin
Université de Nancy II
Aventure
& espace : l’invention du héros colonial
La lecture des histoires d’aventures est
intrinsèquement liée à la représentation de l’espace, d’un espace autre.
L’espace ainsi représenté n’a pas simplement une fonction de décor ou mimétique
servant à ancrer l’histoire dans un cadre qui donne l’illusion du réel, mais
plus profondément encore, il joue une véritable fonction actantielle. C’est en
se lançant à la conquête de l’espace inconnu (et de ce qu’il contient) et
paradoxal (tantôt hostile, tantôt hospitalier, tantôt encore les deux à la
fois) que la figure coloniale de l’aventurier (ou de l’aventurière) va acquérir
son véritable statut de héros (ou d’héroïne) car, c’est en prenant des risques
(choix des parcours et des moyens), en étant confronté à de multiples dangers
et pièges que cet espace recèle, en parvenant à les surmonter par ses propres
ressources (sa force, son intelligence, sa capacité à utiliser les moyens dont
il dispose, à se trouver des adjuvants) qu’il fait graduellement la preuve de
ce dont il est capable. Autrement dit, l’espace est le prétexte qui permet à
l’auteur/narrateur de déployer le potentiel héroïque de ses personnages :
il est investi d’une valeur à la fois téléologique et sémiotique puisqu’il est
construit comme l’épreuve qualifiante de l’héroïsme. Le but de cette
communication sera précisément d’analyser le mécanisme de cette qualification,
les modalités narratives mises en œuvre pour comprendre comment s’articule autour
de l’espace la logique du schéma narratif qui se met en place dans des récits
d’aventures coloniales au XIX° siècle et comment ce schéma perdure dans des
productions contemporaines et à quelles fins. Pour étayer cette analyse, je
m’appuierai sur des œuvres de plusieurs écrivains anglais et sud-africains
(Conan Doyle, Rider Haggard, Joseph Conrad, André Brink).
Jean-Marie Seillan
Université de Nice
‘Mythographie’ de l’Aventure coloniale :
Le Monde noir. Roman sur l’avenir des Sociétés
humaines,
de Marcel Barrière (1909)
Phénomène sans précédent dans l’histoire nationale, la
rapidité de l’expansion territoriale française en Afrique à la fin du XIXe
siècle a conduit plusieurs écrivains (Zola dans Fécondité, Danrit dans L’Invasion
noire) à imaginer l’avenir possible de la colonisation dans des romans d’anticipation
et à se demander, au moyen de la fiction, quelles incidences politiques cet
Empire en cours de constitution exercerait sur le destin des Africains
eux-mêmes, de la France vaincue dans ses rapports avec l’Empire d’Allemagne et
du monde.
Dans le long épisode d’une « heptalogie »
romanesque inachevée intitulé Le Monde noir. Roman sur l’avenir des Sociétés
humaines, le romancier Marcel Barrière (1859-1954) raconte ainsi, en 1909, l’histoire
hypothétique, ou « anté-histoire » de la colonisation française en Afrique
durant le XXe siècle.
« Épopée imaginaire »
étendue à
la dimension d’un continent, ce roman d’aventures, qui
avoue condenser en
cinquante ans de durée diégétique les cinq cents
ans à venir de l’histoire
« probable »
de l’Afrique, passe au banc d’essai de la fiction
d’anticipation politique les
convictions positivistes, progressistes et militaristes de son auteur.
Celui-ci
montre comment pourrait se construire, à ses yeux, le double
destin du
« continent noir » et de l’Europe et le
résume la dernière phrase – d’un
optimisme aventureux – de son livre : De pulchritudine et virtute
Galliarum nata splendidior fortiorque Africa !
Dhana Underwood
Université de Liverpool
Le Gardien du Gange, de Guy Deleury (1994)
En fin du XVIIIe siècle, la colonisation fait
rêver de jeunes aventuriers français à vouloir faire fortune dans d’autres
contrées. Guy Deleury, “Le Gardien du Gange”, 1994, nous entraîne dans
l’aventure de l’artisan, Pierre Cuiller, dit Perron. Pierre Cuiller, forcé par
la pauvreté, s’engage dans la Compagnie des Indes et s’embarque avec le chevalier
de Saint-Lubin en voyage pour l’Inde.
Nous proposons
dans cette étude de voir comment l’Inde au visage à la fois militaire et
féminin séduit le jeune Perron et l’aide d’une part à poursuivre une glorieuse
carrière militaire dans les cours indiennes. Et d’autre part, sa rencontre avec
une belle métisse indienne dans la fille du médecin du baron Shindé marque
cette transition symbolique qui l’aide à se confronter au regard des autres et
de lui-même. Ses vingt ans en Inde et sa relation avec l’Autre colonisée
l’entraînent dans diverses péripéties qui non seulement favorisent la construction
de son identité, mais l’aident à la découverte de lui-même.
Chantal Zabus
Université de Paris III & Institut Universitaire
de France
La théorie
‘Queer’ à l’épreuve des textes :
le cas de My
Kalulu de Henry Morton Stanley
L’un des plus célèbres explorateurs du dix-neuvième
siècle finissant fut certainement Henry Morton Stanley (John Rowlands), celui
qui a ‘retrouvé’ le Dr David Livingstone et a aidé le roi des Belges, Léopold
II, à façonner son empire. Le roman de Stanley, My Kalulu, Prince, King and Slave : A Story of Central Africa (1873),
est une histoire d’amour entre deux Africains – Sélim, un Arabe de Zanzibar, et
Kalulu, un esclave d’Afrique centrale – qui correspondent à deux personnages
réels recrutés par Stanley lors de ses périples africains. Selon le critique
Franck McLynn (1990), l’érotisation de Kalulu émanerait du fait que Stanley
aurait été agressé, puis violé, par le directeur d’un pensionnat dans son
enfance. Mais cela n’est guère vérifiable et, de plus, laisse entendre que
l’homosexualité résulterait inéluctablement d’abus sexuels traumatisants.
Il s’agit donc de mettre la théorie Queer,
d’inspiration outre-atlantique, à l’épreuve d’un texte et d’autres textes
coloniaux du dix-neuvième siècle finissant afin de mieux cerner les relations
entre colonialisme et ‘homosexualité’ (Aldrich, 2002), à un moment où cette
notion n’existait pas encore, le mot ‘homosexualité’ émergeant pour la première
fois dans le vocabulaire médical dans les années 1890.
Farid Zahi
Institut universitaire de la Recherche scientifique, Rabat
Corps, image et altérité :
effet de miroir et paradoxes du regard colonial
L’Européen s’est trouvé confronté depuis le 18e
siècle à l’altérité irréductible du maghrébin, laquelle se manifestait en deux
aspects inéluctables pour toute considération de son identité et de sa spécificité :
L’aspect anthropologique relatif au corps, aux
apparences et aux rites sociaux et symboliques qui en découlent ;
– Les aspects propres du sacré, de l’imaginaire, dont
la portée dépasse de loin les croyances pour s’ériger en conduite sociale,
économique, politique et culturelle.
– L’importance accordée aux corps, à la femme et aux
apparences vestimentaires traduisait une volonté de distinction raciale et
sociale, voire ethnographique, et permettait par ailleurs de caractériser
l’indigène en le marquant d’une différence « exotique ».
L’introduction de l’image dans les pays du Maghreb relevait d’une démarche de
découverte d’un espace autre, « exotique » et étranger. Aussi, qu’il
s’agisse de la peinture coloniale produite (les portraits notamment) par des
artistes installés sur place, de la photographie ou du cinéma colonial, le
Maghrébin s’est vu assujetti à une violence que son iconoclasme latent rejetait
et que son désir de reconnaissance individuelle appréciait. L’ambiguïté de
l’image mettait ainsi en scène l’appropriation de l’autre et la formation d’une
« archive » dont le contenu est à interroger.
Nous nous proposons ici d’analyser les effets de
miroir relatifs à cette captation de l’autre, à l’investissement du regard
européen dans l’invention du Maghrébin et aux conflits générés par une telle
confrontation dans l’image.
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