Jean-François Durand et Jean Sevry (sous la direction de), Nudité et sauvagerie, fantasmes coloniaux, Les Cahiers du SIELEC,
no 2, Paris, Kailash, 2004, ISBN 2-84268-115-0, 15
euros.
Compte rendu par Dominique Ranaivoson
--APELA (Association pour l’Étude des Littératures Africaines).
Le deuxième
volume traite du thème de la nudité et de la sauvagerie en liens avec les
fantasmes coloniaux dans le corpus des littératures francophones et anglophones
de la fin du XIXè siècle à la période contemporaine avec la poésie noire
sud-africaine. Les onze contributeurs analysent comment le fantasme colonial a
associé la nudité des colonisés à la sauvagerie inquiétante voire animale,
dionysiaque, et en même temps, à l’harmonie fascinante et à la liberté perdue
d’avant la chute. Ces analyses du fonctionnement des imaginaires occidentaux et
de leurs enjeux idéologiques introduisent le lecteur dans la peinture
occidentale de Géricault ou Gauguin avec Claude Tournay, les romans francophones
situés en Afrique avec Jean-Claude Blachère et
Jean-Marie Seillan,
dans le Madagascar de Charles Renel avec
Dominique Ranaivoson, dans l’ Inde et Ceylan de Chevrillon avec Jean-François
Durand, dans le Haut-Atlas de René Euloge avec Gérard Chalaye et dans les romans anglophones
orientalistes d’Aphra Behn
avec Aïda Balvannanadhan et africains de Rider Haggard avec Laïli Dor et Gilles Teullié. Chez ces
auteurs de la période coloniale, la nudité de l’Autre est associée de manière
ambivalente à la pureté de l’harmonie primitive et à la souillure de la
barbarie, à la gloire esthétisée et à l'abaissement des pulsions primitives.
Ces constructions mettent en évidence, non pas la réalité sociale des zones
parcourues, mais « le miroir des fantasmes » (20) éveillés par ces
visions et alimentées par les idéologies dominantes (romantisme, esthétique
décadente, évolutionnisme, théorie des races) chez les auteurs transformés
parfois en voyeurs et toujours libres de reconstruire l’image de l’autre dans
la littérature. Les constructions mentales suscitées par la nudité sont alors
le lieu qui permet de dévoiler la distance culturelle qui sépare les auteurs
des littératures coloniales des populations chez lesquelles ils situent leurs
œuvres. Laïli Dor résume la
situation en faisant remarquer que « c’est la nudité qui fait de
l’altérité une sauvagerie » (88) et Jean-Claude Blachère
précise qu’ »il est essentiel à la réussite de l’emprise de l’homme blanc
sur l’Afrique que le Nègre soit nu » (51). L’analyse se prolonge avec Daouda Mar qui montre comment les
Africains savent jouer des fantasmes occidentaux sur la nudité dans les romans
contemporains et François Rémond qui insiste sur la
prise de parole des Noirs de la « Black consciouness »
en Afrique du Sud, mettant la sauvagerie
du côté des Blancs. Ces derniers articles font état de l’évolution de
l’exotisme et des clichés qui ont enfermé les autochtones dans les projections
fantasmatiques des Occidentaux et qui sont à présent repris et inversés dans
une déconstruction parfois violente.
Ce deuxième
volume des cahiers de la SIELEC nous aura permis de mobiliser les outils de la
critique contemporaine pour revisiter un corpus trop longtemps rejeté alors que
la démonstration est faite qu'il a irrigué, par imitation autant que par détournement,
les littératures contemporaines et reste donc utile comme un des courants
formateurs de la sensibilité et de l’idéologie du XXè
siècle.
Le troisième
volume de la SIELEC est attendu avant la fin 2004 et reprendra les communication du congrès 2004 qui s’est tenu à
Montpellier sur le thème « Faits religieux et résistance culturelle dans
les écrits de l’ère coloniale ».
Dominique Ranaivoson, 20 juillet
2004