Jean-Claude
Blachère
L’expression coloniale fournit involontairement un
«
modèle stylistique » au moment où les
poètes
de l’avant-garde sont à la recherche de solutions
pour
redonner de la vigueur à un langage poétique
laissé exsangue par les épigones
mallarméens.
C’est d’abord Tristan Tzara qui utilise la
documentation
recueillie en Afrique noire ou en Océanie par les
missionnaires
ou les anthropologues pour « fabriquer » une
écriture primitive évoquant le « petit
nègre
», accordée aux valeurs de
spontanéité
expressive que préconise Dada. Un tel choix ne va pas sans
quelque ambiguïté idéologique :
ériger les
textes nègres en modèle de sauvagerie
rudimentaire
renvoie, à la limite, aux pires dénigrements
racistes. La
même équivoque se rencontre chez Blaise Cendrars.
L’Anthologie nègre, en 1921, utilise abondamment
la
littérature traditionnelle baptisée
«folklore des
peuplades africaines », et évoque la «
langue des
sauvages » ; mais, dans le même temps, elle
constitue cette
littérature en modèle stylistique, où
le
poète moderne peut puiser une leçon
d’écriture. Invoquant les exemples
d’autres
écrivains contemporains comme Ramuz ou Cingria, Cendrars se
met
à l’écoute et à
l’école du
rythme et de l’émotion qui irriguent les contes
nègres, afin de transformer sa propre écriture.
En conclusion on peut souligner que la
littérature
coloniale a été détournée
de ses fins et de
ses moyens par la sensibilité avant-gardiste, de Cendrars
aux
surréalistes ; reste qu’elle a fourni
–volens
nolens- un aliment ou un prétexte aux recherches les plus
novatrices de la première moitié du XX°
siècle.