AVANT-PROPOS des
Cahiers du Sielec n°3
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Faits religieux et résistances culturelles dans les
littératures de l’ère coloniale
Par Jean-François Durand et Jean Sévry
Lorsque les
explorateurs, après avoir effectué une incursion dans une terre inconnue, s'apprêtent
à lever l'ancre, on les voit très souvent planter une croix. Il s'agit
pour eux, bien sûr, de laisser une marque de leur passage et de dissuader ainsi
d'autres colonisateurs d'y venir poser la leur. Mais en plus, on entend ainsi
annoncer qu'on a maintenant en ces lieux une terre chrétienne. Cela faisait
partie des traditions de l'exploration, en Afrique, au Canada ou
ailleurs, et cette plantation de la croix était accompagnée d'une
messe, d'une cérémonie qui se voulait solennelle. Ainsi peut-on lire ce qui
suit dans la lettre de Pero Vaz de Caminha adressée en 1500 à dom Manuel, roi
du Portugal : « Quelque cinquante ou soixante indigènes y assistèrent en notre
compagnie, tous à genoux... et j'assure Votre Altesse que cela nous
remplit de dévotion. » Ainsi, il ne s'agit pas seulement de disposer des biens
de l'Autre, ou de sa personne par l'esclavage et la servitude, mais aussi de
tenter de s'emparer de son âme, en procédant à ce que Serge
Gruzinski a très justement appelé « la colonisation des esprits ». Et l'on peut
estimer qu'elle est au moins aussi importante que la colonisation
propre-ment économique. C'est là le début d'une très longue histoire.
Cela fait
question : ce cahier de la SIELEC va tenter d'y répondre. Il réunit les Actes
d’un Colloque que nous avons organisé à Montpellier, les 6, 7 et 8 mai 2004, au
Château de Castries, en partenariat avec le Centre Régional des Lettres et le
Centre d’étude du xxe siècle de l’Université Paul-Valéry, sur le thème indiqué
dans le titre de cette publication. Cela fait question, parce que nombre de
missionnaires vont assez rapidement s'interroger sur la violence
pratiquée sur les âmes à l’époque de Colomb, de Cortès et des Conquistadors, ce
que l'on retrouve dans l’œuvre de
Bartolomé de Las Casas, et lors de la querelle de Valladolid, et beaucoup plus
tard, en ce siècle où le ciel de l’Occidental commençait à se vider de ses
dieux, dans les dénonciations de Livingstone.