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AVANT-PROPOS  des Cahiers du Sielec n°5                                       [1/11]
Préface
Jean-Robert Henry (directeur de recherches au CNRS, IREMAM)

A quelles conditions la « littérature coloniale » produit-elle
un effet de connaissance sur l’Algérie musulmane ?
 
    S’intéresser au regard porté sur les colonisés par les écrivains appartenant à la minorité coloniale, c’est tenter de contourner, au moins en partie, le piège des catégories toutes faites qui ont dominé l’analyse des productions littéraires nord-africaines ou inspirées par l’Afrique du Nord depuis un demi-siècle : beaucoup d’entre nous ont usé et abusé des typologies pratiques opposant le roman identitaire du colonat à la littérature « exotique » des voyageurs, et les littératures nationales – étiquetées parfois nationalistes - aux oeuvres d’inspiration méditerranéenne ou universaliste de l’Ecole d’Alger.
 Esquissée après la seconde guerre  mondiale par Audisio, cette catégorisation a été renforcée par l’émergence des « écrivains musulmans » de langue française (Feraoun, Dib, Mammeri, Kateb, Sefrioui, Chraïbi…) dans les années 50 – accueillie avec intérêt et empathie par des observateurs comme Roblès. Puis elle a reçu, du moins en Algérie, une visibilité confinant à la caricature à l’occasion des indépendances et du départ des Européens : désormais, c’est le critère ethno-confessionnel qui était privilégié sur toute autre considération pour classer les écrivains et  leur œuvre et pour repérer les ancêtres légitimes des littératures nationales.
 En Algérie, l’application de ce critère a bousculé le « rêve de fraternité » ou de communauté poursuivi, non sans naïveté, dans quelques cercles politiques ou littéraires et s’est imposée pour distinguer la littérature coloniale des Européens ou des Français d’Algérie de celle des maghrébins musulmans et reclasser les écrivains en fonction des nouveaux clivages. Les quelques exceptions confirmaient la règle : après l’indépendance, seul l’engagement politique absolu d’un Sénac au service de la cause algérienne effaçait son appartenance d’origine et labélisait son algérianité, sa représentativité et sa légitimité à parler des Algériens, que Camus perdait, selon l’argumentation du ministre Ahmed Taleb-Ibrahimi dans une célèbre conférence. Le même homme politique repêchait Etienne Dinet, converti à l’Islam, dans les filets de la culture nationale mais oubliait le tropisme algérien d’autres auteurs comme Millecam ou Pélégri[1].
   Même si le processus de légitimation ou délégitimation nationale des écrivains était moins marqué au Maroc et en Tunisie, il faut admettre que cette perception du champ littéraire, qui reflétait l’ordre politique des choses, était sans doute un moment inévitable de la lecture des nouvelles réalités maghrébines : en Algérie particulièrement, la nécessité de valoriser la prise de parole et d’écriture d’une Algérie musulmane longtemps refoulée s’imposait, au risque de sacrifier des fidélités qui se poursuivaient sur un plan personnel entre écrivains. Mais cette approche a eu d’autres effets négatifs :  


[1] Sur ces questions de nationalité littéraire, voir l’article de N. Saadi in Nouveaux enjeux culturels au Maghreb (dir. J.R. Henry), Ed. du CNRS, 1986.
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