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Les voies insolites de l’initiation soufie de Mahmoud Saadi / Isabelle Eberhardt                                                                         [ 2 / 16  ]

   La jeune voyageuse demeure très laconique à propos de la conversion à l’islam, aussi bien la sienne que celle de sa mère. Si elle mentionne dans la lettre envoyée à la Dépêche algérienne le 6 juillet 1901 que son initiation à la confrérie des Qadriya s’est déroulée à El Oued, où elle a fréquenté les trois zaouïas des alentours, c’est parce qu’elle a été tenue de se justifier lors du procès où était jugé son agresseur —un membre de la confrérie rivale des Tidjanya, qui l’avait blessée assez gravement au bras et à la tête. Les officiers chargés de l’instruction étaient en effet très étonnés en l’«entendant déclarer qu’[elle] était musulmane et même initiée à la confrérie des Qadriya, et en [la] voyant porter le costume arabe, tantôt féminin, tantôt masculin, selon les circonstances et les besoins de [sa] vie essentiellement errante[1]». Expulsée d’Algérie suite à cette affaire politique, elle n’a pu y revenir que grâce à son mariage avec Slimène Ehni, un sous-officier ayant obtenu en tant que spahi la nationalité française. Certains critiques se sont interrogés sur les agissements de ce soufi dont le comportement n’a rien de conventionnel et en sont venus à la conclusion que ces incursions dans des lieux interdits aux Européens devaient dissimuler une activité d’espionnage pour le compte de l’armée française[2]. Les arguments se basent surtout sur l’absence de véritable réflexion sur le soufisme dans les écrits d’Eberhardt, qui semble s’être convertie de manière superficielle, et sur son amitié avec le général Lyautey. L’appartenance à la confrérie des Qadriya semble en effet problématique à plusieurs égards, et j’aimerais dans le cadre de cet article approfondir la réflexion sur ce sujet à partir de l’analyse des récits et des journaliers réunis dans le premier volume des Écrits sur le sable. Au lieu d’adhérer d’emblée à des suppositions qui reposent en grande partie sur des données biographiques incomplètes, il est plus que jamais nécessaire de mettre à jour la logique spirituelle qui sous-tend les déambulations à travers le désert, logique dans laquelle le soufisme n’est peut-être pas le seul et unique pilier. J’étudierai donc certains motifs relatifs à l’islam, —l’appel du muezzin, le désert, le parcours initiatique, la zaouïa, le maître spirituel, l’ascèse, l’extase—, afin de dégager certaines propriétés du regard porté par Isabelle Eberhardt sur la communauté musulmane, qui ne recoupent qu’en partie seulement celles du soufisme.  



[1] Cette lettre est reproduite dans les Journaliers (Isabelle Eberhardt, Écrits sur le sable, tome 1, Paris, Grasset, 1988, p. 393-397). Désormais, les numéros de pages extraites de cet ouvrage seront indiqués entre parenthèses juste après la citation.
[2] Voir par exemple l’article de Karim Hamdy, qui considère que le soufisme superficiel d’Eberhardt a surtout servi de prétexte pour pénétrer dans des lieux inaccessibles pour d’autres et se bâtir ainsi une œuvre littéraire. C’est sur cette ambition littéraire que Lyautey aurait joué pour lui arracher des informations sur les zaouïas du sud de l’Algérie, dans le but de mettre au point ses stratégies de politique coloniale. « Eberhardt and Mysticism. The Intoxicated Mystic : Eberhardt’s Suf Experience », dans Karim Hamdy et Laura Rice, dir., Isabelle Eberhardt. Departures, San Francisco, City Lights Books, 1994, p. 225-242. Voir aussi le chapitre intitulé « Allahou Akbar! He is a Woman : Colonialism, Transvestism, and the Orientalist Parasite » dans Belated Travellers d’Ali Behdad (Durham & London, Duke University Press, 1994, p. 113-132), où la collaboration d’Isabelle Eberhardt au mouvement colonisateur est envisagée à partir de la thèse du parasite de Michel Serres.
 
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