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                                    Joseph Conrad  et l'Afrique.
              Denise Coussy
                   
                   En 2007 les Editions des Equateurs ont publié un petit livre intitulé Du goût des voyages suivi de Carnets du Congo. Il s'agit  de trois courts textes de Joseph Conrad qui éclairent de façon contrastée les grands romans africains de l'auteur, et, en particulier, Au cœur des ténèbres.
                   Deux des textes, Journal du Congo et En remontant le fleuve sont, en fait, des journaux de bord où le romancier consigne, au jour le jour, le déroulement du voyage pénible qu'il a effectué au Congo en 1889.  Ces pages sont rédigées dans un style télégraphique qui, dans sa sécheresse, souligne les énormes difficultés rencontrées. Le décor est, la plupart du temps, sinistre: "Des paysages gris jaunâtre" (p.84). Le climat oscille entre une chaleur insupportable: "Soleil qui tape dur. Infect" (p.90)  et un  froid glacial: " Journée lugubre et froide . Averse" (p94)  Les campements de fortune sont sordides: "Eau rare et mauvaise. Camp sale" (p.83). Le repos est difficile à trouver : "Souffert du froid. Pas dormi. Moustiques" (p.93). Les contacts avec les africains sont complexes et, même, souvent impossibles: "Villages invisibles " (p.85). Les huttes sont en ruines :"Cabanes délabrées".  (p.92) et les  rencontres que fait le voyageur sont éprouvantes: "Une tombe d'un homme blanc. Sans nom. Tas de pierres en forme de croix" (p.95) ou même terrifiantes: "Cadavre d'un Backongo dans un camp  Abattu d'un coup de fusil ? Odeur pestilentielle"  (p.84) .                             
         Au sein de cette atmosphère infernale (qui, bien sûr, rappelle celle de Au cœur des ténèbres), la progression du groupe est décrite avec la même hargne lapidaire. Les journées se révèlent  vides ou sans intérêt: "Passé mon temps à emballer de l'ivoire dans des tonneaux . Occupation idiote" (p.82). Les chemins empruntés sont souvent erronés: "Endroit en dehors de l'itinéraire , aucune indication" (p.94) et les démêlés avec les porteurs sont constants et vains: "Je les ai tous rassemblés pour leur faire un discours auquel il n'ont rien compris . Ils ont promis de se montrer raisonnables " (p.96). Excédé par toutes ces difficultés, le voyageur s'emporte violemment: "J'en ai par dessus la tête de tout ce cirque " (p.87) et ne souhaite qu'une chose :"Voir la fin de toute cette absurdité " (p.98) . C'est ce qui va, en fait, arriver car Conrad –terrassé par la malaria et la dysenterie en octobre 1890- sera rapatrié à Londres en 1891 dans un état physique et psychologique lamentable, comme en témoigne une lettre rédigée à cette époque et citée dans le recueil: "Je vois tout avec un tel découragement , tout en noir . Mes nerfs sont à vif"  (p.114).
              
 
             Très différent de ces pages de notations  à chaud  rédigées sous l'emprise d'une exaspération événementielle est le troisième texte de ce recueil.  Du goût des voyages est, en effet, une réflexion publiée en 1924 , c'est à dire un an avant la mort de l'écrivain et ces quelques trente pages illustrent de façon très maîtrisée les différentes lignes de force de l'œuvre de l'auteur. On  y trouve, par exemple, des confessions autobiographiques qui éclairent la démarche de celui qui, dés l'enfance, avait proclamé ses intentions de voyage: "Le doigt posé à l'endroit précis qui correspondait au milieu du cœur encore vide de l'Afrique, je déclarai, tout de go, à mes camarades de classe que j'irai là " (p.64). Ce voeu apparemment insensé va pourtant se réaliser et l'auteur va pouvoir, non sans gloriole, proclamer: "Dix huit ans plus tard , un vilain petit steamer à roues dont j'avais le commandement se retrouva amarré contre la berge d'un fleuve africain …et je me dis: " Voilà l'endroit exact de mes fanfaronnades de gamin"  (p.65).           .       
          Dès les premiers mots, ce texte se présente comme un panégyrique de la géographie "la plus respectable des sciences " (p40) et comme un hommage aux explorateurs que l'écrivain présente comme ""ses premiers amis" (p.60). La liste des aventuriers chers à Joseph Conrad est longue et on y retrouve  Christophe Colomb qui "devait offrir un nouveau monde à la géographie moderne" ( p.40), Vasco-Nunez de Balboa qui, dans son exaltation, donna le nom (peu conforme à la réalité) de" Pacifique à l'océan qu'il découvrit" (p.43), Tasman qui "a relevé huit milles d'une île que chacun se plait désormais d'appeler un continent " (p.50)  et, surtout, James Cook qui ajouta la Nouvelle Zélande au domaine connu et qui "possédait au plus haut point les qualités qui font l'homme de génie" (p.51). Un nom manque dans ce panthéon, celui de Stanley que Conrad considérait comme le complice de Léopold III au Congo et qu'il accusait d'avoir "participé à la plus vile des ruées  pour un pillage qui défigurerait à jamais à la fois l'histoire de la conscience humaine et la géographie d'exploration" (p.66) .
           Le texte consacre, bien sûr, une large part à l'Afrique: "ce continent dont les Romains disaient qu'il en sort toujours quelque chose  (p.57). Mais l'hommage que le romancier lui consacre est assez complexe: la plupart du temps, il  le célèbre d'une manière quasi romantique en évoquant:" ses royaumes imaginaires comme celui du Monomotapa ou du Père Jean et ses régions infestées de lions et hantées de licornes" (p.57)  mais il le présente également , avec fierté, comme son domaine professionnel: "Devenu officier de la Marine Marchande, il me revint la charge de corriger et d'actualiser, selon les codes de procédure de l'Amirauté, les cartes des navires sur lesquels je naviguais. J'ai toujours accompli cette tâche

en conscience et en responsabilité " ( p.59). Mais cet essai révèle également l'intérêt de l'écrivain pour les autres parties du monde et, en particulier,  pour le continent océanien sur lequel il navigua en se vantant, par exemple, d'avoir osé emprunter le détroit de Torrés qui sépare l'Australie et la Nouvelle Guinée. Sa curiosité géographique le pousse même à évoquer les explorations polaires et, en particulier, celle de  Sir John Franklin dont "les deux navires furent abandonnés à leur piége fatal et glacé tandis que commençait le long et vain combat des équipages pour leur survie " (p54)
         Toutes ces évocations des dangers encourus : "Une tempête, c'est une prison pour une caravelle imprudente" (p41) démontrent superbement comment le romancier  a réussi à puiser dans ses expériences de voyageur la matière littéraire de ses textes. Lorsque,  par exemple, le marin se trouve  devant  les Stanley Falls, c'est en romancier qu'il décrit le respect, la crainte et même la mélancolie qu'il éprouve devant la splendeur africaine: "Un jour , à minuit et au cœur du continent africain, j'ai tranquillement fumé une pipe et  je me suis alors senti bien seul" (p.66) .

.                                                             Denise Coussy

                               
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