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Robert Randau sur les terrasses de Tombouctou :
de Babel à Babylone

 

Ambroise Queffélec
 
 
    De Robert Randau, on connaît surtout le promoteur du mouvement algérianiste et l’auteur de romans évoquant l'Afrique du Nord. Moins célèbres sont ses écrits mettant en scène l'Afrique subsaharienne qui occupent pourtant une place considérable dans sa bibliographie et dans sa "geste des Africains", comme il la nomme lui-même. Ces oeuvres situées en Afrique noire sont d'ailleurs circonscrites à l'Afrique Occidentale Française et plus spécifiquement à l'Afrique sahélienne qu'il a bien connue pour l’avoir inlassablement parcourue en tant qu'administrateur colonial. Cependant, parmi tous ces textes, Les Terrasses de Tombouctou occupent une place cruciale, tant par le genre choisie, pièce de théâtre plutôt que roman, que par les problèmes d’attribution qu’elle soulève, puisque c'est la seule oeuvre que Randau ne revendique pas pleinement: il se présente comme le simple traducteur « en français vulgaire » d'un texte en tamachek du « poète saharien Amessakoul Ag Tiddet », Targui de la tribu guerrière des Iforas, qui « passa une partie de sa jeunesse et fit des séjours assez prolongés à Paris ». Le subterfuge de cette genèse attribuée à un ami et un frère « qui avait en lui l’étoffe d’un grand écrivain de langue française » s’il n’avait préféré « rester fidèle à son idiome paternel » traduit la difficulté voire l’impossibilité pour l’administrateur Robert Arnaud d’endosser la paternité d’une oeuvre qui cristallise la vision profondément sombre, démystificatrice et pessimiste que son autre double Robert Randau se fait de l’Afrique noire et de la colonisation française.

 La démystification de « Tombouctou-la-Mystérieuse »

    Pour le lecteur occidental du début du XXe siècle, Tombouctou fait encore partie de ces villes mythiques que seule la témérité folle d’un René Caillié a permis d’entrevoir et qui conservent pour les explorateurs en herbe toute leur magie et leur attirance. Or, Randau n’a de cesse de détruire le mythe de l’inaccessibilité de la ville isolée dans les confins sahariens en montrant que même « à l’époque où  une ballade à Tombouctou était considérée par la presse mondiale comme une prouesse sans seconde, il n’y avait toutefois qu’à s’embarquer à Koulikoro sur un des méchants chalands de l’Intendance, mus au moteur à couscouss et à suivre le fil de l’eau en chassant au canard » (Le Parfait explorateur colonial, 99). Dans les années 1920, Tombouctou n’est plus qu’un trou perdu où les autorités coloniales relèguent ceux sont elles veulent se débarrasser[i] quand les intéressés eux-mêmes ne s’y réfugient pas de leur propre initiative, pour se mettre l’abri de la justice[ii]. La ville ne présente aucun attrait pour les Européens, contraints d’y vivre sans l’avoir voulu: « Et je déteste, s'exclame Madame Percicat, le pays aussi ! Tombouctou: un pâté de boue sur une plage morte et sans mer; les rues sont de sable mouvant; on sort de chez soi et l’on entre dans la dune ! » (Les Terrasses de Tombouctou, 55). Le consensus dans le dénigrement réunit Madou « O Tombouctou, nombril putride de dunes » (Les Terrasses de Tombouctou, 107), et Dominic[iii]. « Tu t’imagines peut-être sur la foi d’un romancier à intuition[iv], qu’il existe à Tombouctou des palais d’onyx et d’albâtre, des jardins à eaux jaillissantes, d’épaisses frondaisons d’orangers et de manguiers[...] À moins qu’ayant ouï parler de Tombouctou-la-Mystérieuse tu ne me supposes entouré de sombres conspirateurs à l’âme de goudron, qui organisent au fond d’inaccessibles repaires la terrible revanche de l’Islam sur la chrétienté [...] Hélas rien de cela n’est vrai ! Tombouctou est un village nègre dans du mauvais terreau malaxé avec du fumier. Six à sept mille sonrhaï dégénérés, métissés de captifs sans race, et qui, de même Panurge, redoutent fort les coups, y professent le maquerellage [...] » (Les Terrasses de Tombouctou, 111). Cette démythification participe de la volonté de réalisme voulue par Randau qui souhaite dénoncer un certain nombre de clichés véhiculés par l’historiographie et l’idéologie officielle coloniales. Elle s’inscrit  aussi dans le parti-pris de satire qui avait guidé dans Le Parfait explorateur colonial  l’auteur « déporté dans les savanes de la Haute-Volta pour crime de lèse-vices-Majesté et grave offense à la sérénité des Porte-plumes ». Cependant plus encore que pour les autres villes coloniales qu’il met en scène, Dakar (Keurdoul « cette ville qui sent si mauvais » dans Le Chef des Porte-plumes, 13), Ouagadougou (Bankoville « capitale à la mode babylonienne où nous habitons des palais de terre putride » dans Des Blancs dans la cité des Noirs, 22) ou Saint-Louis du Sénégal (N’Dar-Toll, « la ville aux marigots » dans Le Chef des Porte-plumes, 142), Randau se livre à un jeu de massacre dans la peinture des habitants et des moeurs de la ville soudanienne. 
Babel
    Randau construit d’abord l’image d’une ville extraordinairement cosmopolite et grouillante où coexistent des êtres très disparates: le « rôle des habitants de Tombouctou » qui présente les acteurs des Terrasses mentionne ainsi 15 Dieux, 104 humains distincts[v] (auxquels s’ajoutent divers groupes de tirailleurs, chameliers, garde-cercles, "Prophètes" et "Noirs sénégalais citoyens") et 14 animaux individualisés (complétés par différents collectifs de moucherons, sauterelles, chacals, chiens, bêtes captives). De ce mélange hétéroclite résulte une impression de cacophonie extrême liée à la rencontre de langues, de cultures et de langages divers qui font de Tombouctou une moderne Babel. Ce "hourvari" est particulièrement sensible au Marché de Badjindé où s’exprime le multilinguisme de la ville: « Les gens s’interpellent à pleine voix. Les nasalités sonrhraï se mêlent aux durs martèlements du tamachek, le chant d’oiseau du poular aux syllabes gutturales du hassania, l’aboiement du bambara aux glapissements du soninké ». À ces six langues vernaculaires qui correspondent à autant de groupes ethniques distincts[vi], s’ajoutent les deux langues de prestige que constituent à des titres divers l’arabe, langue de la religion employée par le gros cadi (p. 32) ou par le ouali, et bien sûr le français, langue du colonisateur. Cependant ce contexte linguistique complexe ne se réduit pas à une situation classique de diglossie opposant langues "hautes" aux langues  "basses", même si ce type de diglossie fait partie du paysage linguistique à Tombouctou comme ailleurs en Afrique Occidentale Française. Les langues africaines vernaculaires sont frappées d’ostracisme par la plupart des colonisateurs qui les déprécient au niveau même des qualificatifs dont ils les affublent (cf. dans la citation supra le vocabulaire du cri animal utilisé pour les décrire : chant d’oiseau, aboiement, glapissement). Pour la plupart des Européens, les langues africaines sont du "charabia" (selon le mot de Madou dans Des Blancs dans la cité des Noirs, 161); pour certains même, comme Marie la domestique un peu simplette de Madame Tobie, la dépréciation linguistique participe des préjugés ordinaires contre les Noirs: « C’est plein de sauvages par ici ! Et ces nègres, c’est même pas poli avec une femme comme moi [...] ça crache plus gros que le poing, ça parle des langues pas naturelles, ça sent le chien mouillé » (Le Chef des Porte-plumes, 12). Seuls les Broussards, les Européens implantés de longue date, voire "intoxiqués"[vii] par l’Afrique, s’intéressent aux langues africaines pour les étudier (comme R. Arnaud lui-même[viii] ou comme l’administrateur Sarat, père de Madou[ix] auteur de plusieurs monographies linguistiques) même si cet amour de la philologie sert de paravent pour certains à des pratiques inavouables[x]. Les autres broussards se servent des langues africaines qu’ils connaissent bien pour des raisons d’efficacité : c’est le cas des militaires comme le gouverneur général Ledolmer « le dernier conquérant de l’Afrique » qui s’adresse à ses employés ou à ses soldats noirs dans leur propre langue pour créer un climat de confiance[xi]; c’est aussi le cas de certains administrateurs, tel Dorit qui jongle avec les différentes langues africaines, sénoufo, "birifor", poular, mossi, etc. Le traitant Diko, pour qui « il y a toujours avantage en Afrique, à parler les langues indigènes » (Des Blancs dans la cité des Noirs, 161) tire profit de sa maîtrise des différentes langues sahéliennes pour résoudre à son avantage divers problèmes humains ou commerciaux.
    La diglossie français/idiomes africains se double aussi de diglossies à l’intérieur de la langue coloniale elle-même puisque R. Randau met en scène diverses variétés de français dotées de statuts différents. La plus basse et la plus stéréotypée reste sans doute le français-tirailleur qui est de tradition dans le roman colonial des années 1920: ce français pidginisé et approximatif appris sur le tas par les soldats africains intégrés dans l’armée coloniale caractérise le parler du tirailleur méhariste Mamadou Kamara: « Ca va bien, trop, ma commanda ! Nous y a zigouillé cossons de voleurs, tous à Hassi Touïl » (Les Terrasses de Tombouctou, 57)[xii]. Mais cette variété basilectale est sortie du cadre de l’armée coloniale pour se répandre en milieu urbain chez un certain nombre d’Africains qui, sans être allés à l’école des Blancs, sont en contact direct avec les colonisateurs, tels les plantons : « Quoi c’est ti veux, ma commandant ? [...] Voilà cébé avec carayon; toi t’y mets son grisgris » (Ibid., 125) ou le personnel domestique des colons: « Madame, dit le maître d’hôtel, tuisinier y a foutu au feu couvercle en pâte, alors moi y a placé çuilà qui fait zoli même çose » (Des Blancs dans la cité des Noirs, 32)[xiii]  On trouverait le pendant de ce français-tirailleur en Afrique du Nord dans le sabir que Randau place dans la bouche du marchand syrien Youssef installé à Tombouctou: « Madame, monsieur, ji souis trop z’honori di vot’visit ! Comment c’it’ça va la santi ? [...] mais j’en i tri peu di soje. Y en a li z’accaparors, cit sal’s gens, qui z’empichent li mil di vinir à Tombouctou » (Ibid., 147). Randau cite aussi dans une des notes du Chef des Porte plumes[xiv] ce qu’il appelle un « patois franco-ouolof », dont on peut se demander s'il ne constitue pas un exemple précoce de cette alternance codique français/langue africaine si courante à l’époque contemporaine. Ces variétés de français deviennent, comme les langues africaines, objet de dépréciation de la part des Européens qui les parodient à des fins ludiques[xv]et même des Africains qui, pour avoir fréquenté l’école française, utilisent un français plus académique, voire précieux: « Le commis a fréquenté l’école des Pères Blancs de Bankoville; il s’enorgueillit de parler avec les clients un français correct, bourré de mots rares picorés dans le dictionnaire » (Des Blancs dans la cité des Noirs, 155). Cette maîtrise du français normé entraîne chez certains "évolués" un sentiment de supériorité sur les autres Africains: ainsi, Oumarou N’Diaye, « citoyen des Quatre communes, natif de Rufisque au Sénégal » n’hésite pas à « apostropher avec aigreur les caravaniers, se glorifi[e] d’être citoyen français, et prom[e]t de rapporter à l’inspecteur, son frère blanc et son ami les outrages dont l’abreuv[ent] les païens A sa demande, il les punir[a] de l’amende et de la prison ». Sa morgue lui vaut la réplique suivante "dans un français incorrect et précis", d’un ancien tirailleur marchand de soumbala: « Si toi y a pas fini merder nous avec ton parole, cosson, enfant de salauds, moi y aura casser ton vilain gueule de cocu ! » (Des Blancs dans la cité des Noirs, 199). Ce conflit de variétés de langue reflète assez bien la différence de statut social créée par le colonisateur entre les "assimilés" et les autres colonisés.

    A côté des basilectes employés par les Africains, existent différents français parlés par les Européens dont Randau excelle à décrire la diversité de niveaux et de registres :
 -variété régionale de français de Provence chez le lieutenant Gros déduit, reconnaissable à son « accent d’Avignon » et à son vocabulaire: « Réagis, faut pas t’esgargasser » (Les Terrasses de Tombouctou, 33)
 - « langue du dimanche » de l’instituteur : « Ne trouvez pas qu’il est odieux que l’administrateur Sarat oblige les Noirs à ne plus déféquer sur leurs terrasses comme ils en avaient l’habitude ? C’est un abus de pouvoir ». (Ibid., 69).
 - français populaire du caporal infirmier: « Y avait pas moyen qu’elle fasse autrement que passer. Moi que j’ai des gens qui meurent, j’ai dit tout de suite à M. le Médecin chef: c’est du tracas pour rien que vous vous donnez ? J’y disais ça histoire de parler » (Ibid., 135)
 - langage truffé d’argot militaire des sous-officiers : « Moi je rouspète seulement à cause que sur la terrasse, ils s’accaparent les gonzesses. Y a madame Lanyoli qu’a les yeux comme des pistolets qu’à la fin il y a poche au khaki de ma culotte. La femme serbe qui est d’une famille noble de son bled, si elle voulait, ça y coûterait rien » (Ibid., 64).
Par delà cette diversité de sociolectes ou d’idiolectes, Randau illustre ce qu’on serait tenté d’appeler un nouveau régiolecte du français, le français colonial d’Afrique noire. Cette variété émergente est surtout sensible au niveau lexical comme l’auteur essaie de s’en expliquer dans la préface des Terrasses, 22: « Les dialogues sont peut-être trop chargés de couleur locale: j’ai éclairci de mon mieux par des notes les termes et expressions inconnus du lecteur européen »; de fait, les notices à caractère lexical qui parsèment ses textes et spécialement les Terrasses constituent des ébauches d'un possible inventaire des particularités lexicales du français en usage au Soudan et plus généralement en Afrique Occidentale Française. Ces notices, loin d’épuiser le vocabulaire colonial employé (puisque un certain nombre de termes utilisés par Randau ne sont pas définis ou glosés) sont d’autant plus précieuses pour le lexicographe moderne que beaucoup de ces termes se sont conservés dans les français régionaux du Mali ou d’Afrique[xvi] et que Randau fournit souvent, outre la glose en français de référence, des informations sur l’écologie de la lexie, étymon, niveau de langue, extension ou aire d’emploi, etc.[xvii]
La mise en scène de la hiérarchie, de la concurrence, voire de la guerre des langues en contact relève sans doute du dessein réaliste qui guide Randau, mais au-delà de son intérêt ethnographique, le babélisme sert à exprimer l'incompréhension des communautés qui coexistent dans une hostilité réciproque: les sédentaires songhais de Tombouctou cherchent à exploiter sans vergogne leurs hôtes nomades Touaregs ou Maures qui méprisent les premiers tout en se détestant entre eux, puisque la barrière langagière qui oppose tribus berbérisantes et arabisantes se transforme en conflits et en jalousies ethniques[xviii]. Au sein des communautés mêmes, la multiplicité des langues et des variétés empêche les êtres de communiquer entre eux; le barrage langagier isole en particulier les broussards qui n'arrivent pas à échanger avec les autres Européens: Dorit désespère de se faire comprendre de sa jeune épouse, ce qui le conduira au suicide, Sarat éprouve des difficultés à aborder les sujets graves avec sa fille (incapacité sans doute responsable de ses infortunes conjugales), la timidité de Trias le conduit à transformer sa demande en mariage en une démonstration ridicule et absurde de la complémentarité de la linguistique et de l'ethnographie.

Sodome


    Univers cosmopolite et cacophonique où se mélangent disphoriquement races, cultures et langues, Tombouctou devient la ville de la luxure et de la débauche. La sexualité exacerbée par l'appât du gain y règne en maître: des animaux aux  hommes et aux Dieux, tous les êtres en sont les agents, les victimes, les complices ou les bénéficiaires. L'économie de la ville se fonde elle-même sur l'exploitation du commerce sexuel: comme le rappelle le capitaine-maquereau (à la fonction significative), « L'azalaï est de retour: les marchands de sel, la tasoufra gonflée de biens, furent hébergés chez leurs diatiguis: il n'y a plus une femme disponible; chacune exploite grâce à moi un caravanier glorieux et lui vide son albeyti » (p. 39). Le marmiton résume d'ailleurs en termes crus et directs cette prostitution généralisée des femmes de Tombouctou : « sa mousso est mousso de Tombouctou et fut donc putain dès sa naissance; elle n'est pas mousso excisée et donc elle est putain par nature. » (p. 28). Cette prostitution organisée et encouragée par les maris, pères et frères complaisants, « qui se retirent avec discrétion », fait de Tombouctou le « paradis des cornards » (p. 28); comme l'affirme le boy: « quand l'azalaï est là, il n'est pas un homme qui ne soit cocu sur sa terrasse, dans sa paillote de saison sèche » (p. 39). Même en dehors de l'azalaï, le vagabondage sexuel est courant : ainsi Fatou, la mousso du lieutenant Dominic « le cocufie avec le cuisinier et neuf farkadji », ce qui provoque la joie du marmiton qui ne rêve que de devenir le onzième kamélé de Fatou et l'amant d'Aminata, la grosse vendeuse de kolas, une fois devenu cuisinier après le renvoi de l'actuel cuisinier amant de Fatou et d'Aminata. Même le gros cadi, interrogé par le lieutenant qui reprend les interrogations de Panurge sur le cocuage, doute qu'il « existe des chefs de case qui ne soient pas trompés par leurs femmes » (p. 32). Les Européens participent de la luxure ambiante : « l'infâme Poulque », prostitue l'ex-épouse de Sarat auprès des hauts fonctionnaires coloniaux pour avancer sa carrière et ses affaires, tout comme Lanyoli trouve une jouissance perverse et sado-masochiste[xix] à prêter sa femme en échange des cadeaux, marchés juteux et pots de vin de ses amants traitants, le Syrien Youssef et le français Malprit « représentant de la puissante firme Crapuletteau, Robert Macaire et Cie ». Le phénomène est tellement généralisée que le Gouverneur Général remarque dans ses dîners que Mme Tobie est « l'unique femme honnête de l'assemblée » (Le chef des Porte-plumes, 17) et qu' « au Sénégal l'expression Faire la ligne s'applique aux blanches demi-mondaines qui vont de gare en gare sur les voies ferrées, et de poste en poste, sur le fleuve et au Soudan, se prostituer à tout venant. Ce commerce, des plus lucratifs, est fort en honneur parmi ces dames » (Le Chef des Porte-plumes, 57). Même les héroïnes n'échappent pas au soupçon : Madou, dont les rêves sont peuplés de détraqués sexuels est accusée par les médisants d'inceste ou d'homosexualité (Terrasses, p. 81).

    La pédophilie semble monnaie courante, et frappe tant les garçonnets que les fillettes : le capitaine-maquereau fournit au toubab-maître d'école « les plus suaves demoiselles de son quartier » mais considère son exigence d'obtenir une vierge comme impossible : « Ce nazara est fou ! Une vierge ! A Tombouctou ! Où il n'est pas de gamine qui à quatre ans, n'ait son kamélé ! C'est comme s'il me demandait un petit talibé maure dont le marabout n'eût pas exploité la jeunesse ! » (p. 59). Le thème de la prostitution enfantine revient de manière récurrente: dans une scène assez crue, Randau montre le sergent qui s'est fait prêter dix sous par ses compagnons s'enfoncer dans une ruelle tortueuse où, à son coup de sifflet, les "négrillons" se précipitent à sa suite en offrant dans l'obscurité leurs services : « Moi ! moi, sergent ! moi y a bon ! » (p. 66). Le trafic d'enfants est d'ailleurs présenté comme l'une des activités commerciales traditionnelles de Tombouctou, ainsi que le rappelle Joas: « Il n'y a pas de longues années, on vendait encore, dans certaines maisons de Tombouctou, et à l'insu de l'autorité française des négrillonnes; les courtiers les expédiaient, bien à la douce, à travers le sahara, sur Marrakech. Je ne jurerais pas que ce trafic eût en entier disparu. Les caïds marocains le savent: la négrillonne est le petit café de l'amour » (p. 78). 

Babylone

   
    Dans cet univers de luxure, toutes les valeurs s'inversent: l'argent règne en roi, le vice, la cruauté et la méchanceté sont de règle : Africains comme Européens ne cessent de voler, d'exploiter, de se jalouser entre eux, de médire, de se goinfrer, de prendre plaisir à causer du tort au voisin. Le regard critique de Randau pèse tant sur les colonisateurs que sur les colonisés. Les seconds sont lâches, veules, inconstants, paresseux, voleurs, jouisseurs, cruels et pratiquent à leur niveau la loi du plus fort exploitant le plus faible : les nomades continuent leurs rezzous et les sédentaires prennent leur revanche en exploitant et en rançonnant les voyageurs. Les Colonisateurs et leurs auxiliaires paraissent tout aussi pervertis: les tirailleurs et les gardes noirs, incapables de maintenir l'ordre et de défendre les plus faibles, se révèlent brutaux, insensibles et cruels. Quant aux Blancs, ils sont "démoralés" selon les mots de Mme Gazeaut qui détruit le mythe de la colonisation bienfaitrice et du colonisateur héroïque et désintéressé : « on vient ici pour gagner de l'argent, rien de plus ». (Le Chef des Porte-plumes, 104). La dénonciation frappe tous les groupes sociaux : les commerçants sont présentés comme des escrocs : « Non, pensez-vous que j'admire l'héroïsme du pistachier qui glisse deux sous dans la mécanique de sa bascules à arachide pour voler dix kilos par quintal à son vendeur nègre qui, lui, augmente le poids de ses graines en y ajoutant du sable et du gravier ? ou que je me pâme devant les usuriers autorisés qui pratiquent pendant la mauvaise saison, l'escroquerie du prêt sur gages » (Ibid., 104). Les journalistes vendus aux puissants font du chantage aux petites gens[xx]. Les prêtres se montrent « fort indulgent(s) aux péchés des coloniaux » (Le chef des Porte-plumes, 19) ou d'un optimisme aveugle[xxi]. Les militaires ne sont pas épargnés : jalousant les civils, les officiers « qui ressemblent à des petits vieux, pas toujours très propres » cherchent surtout à accroître leur solde, font régner parmi leurs hommes une discipline arbitraire, couvrent et encouragent des pratiques traditionnelles inhumaines (couper les oreilles d'un ennemi mort) ou se lancent dans des projets absurdes de développement du pays (cf. le projet du colonel de créer des marchés dans le désert saharien). Leurs subordonnés sous-officiers, en proie à l'ennui et à la jalousie se livrent à la débauche et à l'ivrognerie, en « rouspét[ant] contre les pisse-droit », en « pelot[ant] le colo » et en se languissant de « la classe, la retraite et la bonne place dans le civil » (Les Terrasses, 62). La plupart des administrateurs civils, « lugubres moines paillards qui célèbrent l'office administratif de la République » (Le Chef des Porte-plumes, 139), sont encore plus mal lotis: les chefs souvent malhonnêtes ou incompétents, apparaissent comme des potentats qui « traitent [leurs] subordonnés tantôt en pieds-plats, tantôt en esclaves »; quant à ces derniers, simples ronds-de-cuir arrivistes, carriéristes, envieux[xxii] et pusillanimes vis-à-vis de leurs supérieurs, ils se révèlent corrompus[xxiii], plus soucieux de leur intérêt personnels que de l'intérêt général. Quant aux (rares) femmes, « pauvres poupées coloniales » coquettes et volages qui se « débilitent à la colonie », elles semblent surtout des objets sexuels, des marchandises[xxiv]. ou au mieux des domestiques[xxv], condamnées à « souffrir d'un mal intérieur indéfinissable, décelé par l'acuité de certains bas appétits » (Le Chef des Porte-plumes, 207). Seuls échappent à la dénonciation violente de Randau dont la virulence n'est pas sans rappeler dans son absolu celle d'un Céline, quelques broussards, vieux amoureux de l'Afrique noire que les temps nouveaux de la colonisation condamnent à l'inaction, à la morbidité et à l'asthénie. Les doubles de Randau, Trias et Sarat dans Les Terrasses,  Ledolmer « survivant de la grande aventure de la France aux Tropiques » dans Le Chef des Porte-plumes, ou Dorit dans Des Blancs dans la cité des Noirs,  sont voués à la solitude, à la mélancolie et à la disparition. L'échec de ces pionniers que « les nécessités de l'action avaient contraint d'être, ainsi que lui, sans famille, sans descendance, sans foyer » (Le Chef des Porte-plumes, 117) et la médiocrité de leurs successeurs condamnent à terme l'expérience coloniale en Afrique noire qui s'apparente à un grand gâchis.

La destruction


    La sanction de cet échec, c'est bien sûr la grande épidémie de grippe espagnole qui va frapper Tombouctou-Sodome-Babylone et les villes européennes. La punition annoncée par un Randau visionnaire, c'est bien sûr la destruction annoncée par les Prophètes: « Nous lançons l'anathème sur la grande Babylone, sur Rome l'immonde, sur Paris l'Élégant, sur Berlin la joyeuse, sur les cités à l'épouvantable nuit ! » (Terrasses, 103). Cette épidémie, apportée par les agents du mal que sont les Poulque, va s'abattre sur la ville et permettre aux hyènes avides de se délecter de la « charogne d'homme blanc imprégnée de graisse, de vin et d'alcool ». (Terrasses, 56). L'épitaphe que Randau place en tête des Terrasses et l'hommage dérisoire et cinglant qu'il rend « aux Mânes des Héros de la Conquête civilisatrice morts alcooliques en A.O.F. Martyrs de leur Idéal » dit assez l'ampleur du désastre colonial en Afrique noire.
 

Janus ou la colonisation à deux visages


    Doit-on en conclure que Randau condamne en soi la colonisation française en Afrique ? Comment concilier cet échec avec les représentations laudatives de la colonisation en Afrique du Nord, dont il se fait le chantre dans ses romans algérianistes ? Le contraste entre les romans de la grande brousse et les oeuvres où il met en scène "sa patrie algérienne" traduit en fait l'ambivalence de l'idéologie coloniale de Randau. La seule colonisation positive à ses yeux semble la colonisation de peuplement, vecteur de la fusion des races et  de l'enrichissement réciproque du peuple colonisateur et du/des peuple(s) colonisés. Cassard le berbère symbolise cet homme nouveau qui a su tirer le meilleur des cultures et des civilisations que la colonisation a fait se rencontrer. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les héros positifs qui peuplent les romans de l'Afrique noire sont des pieds-noirs[xxvi], Par contraste, la colonisation essentiellement militaire et administrative, telle qu'elle se pratique en Afrique noire, génère un apartheid de fait entre colonisés et colonisateurs (de passage) qu'illustre parfaitement  Tombouctou. La mythification de la ville sahélienne en une moderne Babylone-Babel-Sodome vouée à la disparition s'inscrit alors  dans une construction idéologique cohérente qui traduit la supériorité d'une colonisation-fusion des races sur une colonisation-exploitation. La supériorité du second projet culturel et politique ne trouve-t-elle pas sa preuve dans l'écriture même des Terrasses, oeuvre inspirée d'un écrivain visionnaire hybride jouant de sa double appartenance culturelle, berbère (Amessakoul Ag Tidet) et latine (Randau)?

    
 
Bibliographie des ouvrages cités
 
Équipe I.F.A., Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire, Québec, AUPELF-ACCT, 1983
Queffelec A. et Jouannet F., Inventaire des particularités lexicales du français au Mali, Nice, A.E.L.I.A.-INaLF-CNRS, 1982
Randau R., Le Grand patron, Paris, Albin Michel, 1925
Randau R., Le parfait explorateur colonial, Paris, Baudinière, 1924
Randau R., À l'ombre de mon baobab, Paris, Éditions du Monde Nouveau, 1923
Randau R., Le Chef des Porte-plumes, Roman de la vie coloniale, Paris, Éditions du Monde Nouveau, 1922
Randau R., Des Blancs dans la cité des Noirs, paris, Albin Michel, 1935
Randau R., Les Terrasses de Tombouctou, Alger, Soubiron, 1933


NOTES
[i] « Elle fréquentait un artilleur, son ex-amant. -Non, son ancien souteneur. Il lui soutirait de l'argent [...]. Dès qu'il ya aura lieu, je l'expédierai à Tombouctou ou dans quelque coin éloigné de la Mauritanie ». (Le Chef des Porte-plumes, 178).
[ii] « Madame Groute exploita en son temps à Dakar les siestes coloniales, y gagna l’aisance et épousa sur le tard un négrier-pistachier retiré à Tombouctou, loin des tribunaux du chef-lieu » (Les Terrasses de Tombouctou, 55).
[iii] Les descriptions de l’auteur dans ses didascalies de la p. 108 sont plus poétiques mais traduisent la même âpreté du paysage et de la ville: « Par les baies on découvre le panorama de Tombouctou: une masse brune de glaise écrasée sur une éminence de sable ocreux que cernent de maigres arbustes épineux: sur cette glaise se détache à peine, dans la lumière vorace, l’entrelac des murs des arêtes, des clôtures. De chaque cour fuse une vapeur mauve. Les lignes d’ombres sont d’un violet dur. Le ciel, trop lourd de bleu, hypertrophié par le soleil, s’est cassé, éparpillé sur les maisons qu’il abolit [...] ». 
[iv] Randau dans la note 1 de la p. 111 fait explicitement référence « aux romans si appréciés de Louis Noir où sont rapportées de merveilleuses visions de Tombouctou et aux feuilletons qui parurent dans le Journal des Voyages ». 
[v] Si certains sont des habitants plausibles de la ville, d’autres qui ne font qu’une apparition furtive dans les « remous de rêves » de Madou, appartiennent à des mondes et à des époques différentes, tels pêle-mêle Chérubin, Alexandre VI, Pierrot, Barbe-Bleue, Bel Ami, Raspoutine, L’Hermaphrodite, Le Cannibale, Mylitta, Monsieur Moloch, La cousine Yvonne, etc. 
[vi] Une répartition fonctionnelle semble d’ailleurs s’opérer entre ces différentes langues comme l’indiquent certaines des notations disposées ça et là par Randau: le sonhraï est le véhiculaire urbain le plus pratiqué, puisque c’est la langue employée couramment dans ses interactions avec sa femme et les autres natifs de Tombouctou par Joas, le prêtre défroqué installé à demeure dans la ville.  Il subit la concurrence du bambara langue mandingue qui tend à devenir véhiculaire dans le Soudan français, parlé ici par le boy de Dominic (p. 30), par un tirailleur méhariste, ou par les plantons (p. 128). Deux langues sont employées par les Nomades qui passent épisodiquement dans la ville: les Maures, en particulier ceux qui servent dans les goums sahariens parlent le hassania, « patois arabe », (interventions de Sidi Ould Sidi, chef goumier, p. 58 ou des caravaniers maures, p. 80) alors que les Touarègues, caravaniers de l’azalaï qui va deux fois par an chercher des barres de sel gemme aux mines de Taoudénit, utilisent le tamachek, dialecte berbère.
 
[vii] « Dorit songe.  L’Afrique l’a, comme Diko, intoxiqué jusqu’aux moelles. Il se promet de mourir dans la grande brousse, loin des Européens, au milieu de ses vieux compagnons noirs ». (Des Blancs dans la cité des Noirs, 138). Sarat fait le même diagnostic sur son compte: « Je fus intoxiqué par la vie de brousse. Je la déteste et suis incapable de me plaire longtemps ailleurs qu’aux pays sauvages. » (Les Terrasses de Tombouctou, 154).
 
[viii] Comme un certain nombre d’autres administrateurs avant lui, Arnaud a publié sous son véritable nom de nombreux articles d’histoire, d’ethnographie et de philologie. Citons en particulier parmi ses travaux linguistiques sa Contribution à l’étude de la langue poul ou foulanya et ses Notes de philologie et de sociologie sur les Montagnards Habé de la falaise de Bandia-Gara.
[ix] Sa fille Madou rappelle qu’il travaille à un grand lexique du dialecte Berabich et Trias cite avec respect ses divers travaux comme son Traité de la nasalisation dans les langues bantoues, le Manuel de  la langue Sorko , l’Essai de grammaire du dialecte amrid parlé par les Kel Gossi de la Boucle du Niger.
[x] Ainsi Claude qui a toujours à son chevet la Grammaire baoulé de Delafosse ne peut se priver de ses gamins maures qui lui servent en théorie d’informateurs , ce qui lui vaut les remontrances de sa femme: « Vous n’avez que faire de les recevoir si souvent, puisqu’enfin vous parlez leur langue à la perfection, qu’ils n’ont plus rien à vous apprendre et qu’au reste, dans les soins qu’ils vous accordent je les remplacerais avec avantage » (Le Chef des Porte-plumes, p. 85).
 
[xi] Ainsi il salue un vieux spahi en poular (Le Chef des Porte-plumes, 120), parle en ouolof à un ancien tirailleur devenu ouvrier(Ibid. , 119), galvanise en bambara puis en toucouleur les troupes noires qui s’embarquent pour le Maroc (Ibid. , 183).
[xii] Cf. aussi le discours des tirailleurs démobilisés: « Toi y es foutu maintenant! Pourquoi toi y as frappé lui ? Nous y a autant que toi. » (Des Blancs dans la cité des Noirs, 54). 
[xiii]  Cf. également les paroles du petit boy dans Des Blancs dans la cité des Noirs, 85 : « Si lui, continue-t-il dans son jargon, y a pas gagné crevé aujourd’hui, demain, les gens lui coupent la tête sur le fétiche du sang ». La fin de la citation montre d’ailleurs que Randau substitue au basilecte un français normé moins réaliste et pittoresque mais plus intelligible du lecteur métropolitain. Ce souci d’intelligibilité explique sans doute qu’au début des Terrasses, le boy, le cuisinier et le marmiton de Dominic s’exprime dans un français "correct", peu plausible pour du personnel domestique. 
[xiv] « Tu es fringué, ce matin; ce n’est pas jour à niocer (1), pourtant ! » Note (1) infra-paginale: « Niocer, corruption de noce, s’amuser, en patois franco-ouolof » (Le Chef des Porte-plumes, 184). 
[xv] Cf. « Et Brigandini s’est habillé en mouquère et a récité des monologues en sabir » (Le Chef des Porte-plumes, 121). 
[xvi]Ainsi sur les 64 notices lexicales que renferment Les Terrasses (exclusion faite des topolectes et des ethnonymes), 26 concernent des termes figurant dans l’Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire (IFA) qui décrit le français régional des années 1970-1980 : dans l’ordre alphabétique (entre parenthèses le numéro de page de la notice): argamasse (69), azalaï (38), bassi (41), bella (36), bismillah (59), boubou (28), bounioul (61), bourgoutière (53), canari  (72), diatigui (38), dioula (113), dolo (41), forgeron (47), kassa  (71), moudd (61),  mousso (28), samara (55), soumbala (73), tara (62), taguelmoust (84), takouba (84), takoula (28), talibé (39), tifinar (90), toubab (27),  zériba (59).
[xvii] Ainsi mousso se voit glosé par « Femme, en bambara. Mot qui est devenu d’un usage général., en Afrique occidentale, pour désigner la concubine indigène d’un européen ». (Les Terrasses, 28); de même, la locution secouer le jujubier reçoit les explications suivantes:  « En argot colonial, entreprendre une tournée en brousse, dans le but principal de percevoir les indemnités quotidiennes auxquelles donne droit tout déplacement d’officier ou de fonctionnaire » (Ibid., 35).
[xviii] Randau, commentant la jalousie haineuse contre le Touareg Amessakoul Ag Tidet des marabouts  arabisants Kounta qui affirment « qu'il y a plus d'arômes  lyriques dans la crotte d'un chien arabe que dans la cervelle fumeuse de n'importe quel kafir iforas passé, présent et à venir » note que « les groupements berbérisants et les groupements arabisants du Sahara sont en général ennemis les uns des autres » (Terrasses, 17). 
[xix] " LUI.- « En vérité, je suis un ignoble individu : je t'aime mieux quand les hommes te désirent [...] J'ai voulu que tu devinsses plus perverse qu'une nonne de roman égrillard. [...] Je mourrai sans redouter pour toi l'avenir. Tu épouseras l'un de mes camarades sans doute plus gradé que moi ! Il sera heureux à ma place. Oh! je jouis déjà de ma vengeance » (p. 121).
[xx] « M. Joyeux, rédacteur de l'Assaut keurdouliote qui tirait à 77 exemplaires et vivait du chantage pratiqué sur les filles ... » (Le Chef des Porte-plumes, 132).
[xxi] Dès l'ouverture des Terrasses, le Père Blanc en contemplant la mouche-maçonne qui a pondu ses oeufs dans la chenille-proie,  futur "garde-manger" de ses descendants, célèbre « la prévoyance ingénieuse de cet insecte » et, sans aucune pitié pour la victime, invite son élève  à louer la beauté des oeuvres de Dieu. (p. 23).
[xxii]  Représentés à Tombouctou par l'instituteur "docte et hargneux" et par le receveur des postes à la "grande barbe malveillante"; le premier incite les sergents à la révolte contre les officiers  qu'il accuse d'exhiber de faux certificats de blessures de guerre "pour des "coups de pied de Vénus, stigmates de la vérole" et de "se goberger" sur les terrasses avec les femmes de quelques idiots" Le second qui a ouvert une correspondance officielle confidentielle  accuse Trias de détournement de fonds publics: "on joue à voler ici" (Les Terrasses, 62-63)
[xxiii] Tel "M. Joyeux, rédacteur de l'Assaut Keurdouliote, qui tirait à 77 exemplaires et vivait de chantage pratiqué sur les filles" (Le Chef des Porte-plumes, 132).
[xxiv] Le machisme règne en maître, en particulier chez les sous-officiers qui se plaignent des "femelles": Cloume développe toute une théorie de la femme-esclave en prenant l'exemple de Madame Percefeuille: « Cette  serbe ! ce n'est plus la femme et c'est encore l'esclave ! Ca s'attache à un maître, oui, mais rien qu'à un maître. [...]   Elle admet en son intime d'être une marchandise » (p. 76-77). 
[xxv] Comme l'observe le colonel célibataire dans ses conseils matrimoniaux à Trias, « une femme rend plus de services dans un ménage qu'un ordonnance » ; il conseille à son subordonné de préférer "des vierges mûres" à des « gamines à mollets nus qui ont seules assez de vices et de goût pour nous trouver beaux » mais qui « sont trop exigeantes » (Les Terrasses, 132-133).
[xxvi] tels Dominic, fils de colons agriculteurs de Cherchel dans les Terrasses, Diko, propriétaire d'une villa sur les hauteurs d'Alger dans Des Blancs dans la cité des Noirs, Édouard Taubie, député d'Algérie dans Le Grand patron, etc.                                       
                              
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