fg  [ 2004 ]                                                                                            [ Avant-Propos ]  fd
  

Compte Rendu du Colloque de Yaoundé
par Dominique Ranaivoson et Pierre Halen

 

L’université de Yaoundé I a accueilli du 15 au 17 décembre le colloque international intitulé « Images et représentations de l’Afrique dans les littératures coloniales et post-coloniales ». L’initiative et l’organisation de cette manifestation importante reposaient sur le professeur Richard Omgba, membre de la SIELEC, présent à notre congrès en mai 2004 à Montpellier. Dominique Ranaivoson et Pierre Halen ont pu se déplacer, seuls étrangers parmi les 29 intervenants camerounais issus des différentes universités du pays. Il faut souligner la forte mobilisation des étudiants qui remplissaient un amphithéâtre de 600 places où éclatait une musique de défilé pour accueillir le Recteur de l’Université à la cérémonie d’ouverture, voulue grandiose. Parmi ces étudiants, une bonne centaine suivra tous les travaux, posant des questions ou cherchant à rencontrer les étrangers en coulisse. Dès la conférence inaugurale, Laurent Omgba précisait les objectifs de cette rencontre :  « Nous nous engageons à parler de nous-mêmes » après que les autres aient forgé des images des Africains dans leurs littératures, les enfermant dans un « ghetto imagologique ». Il s’agit donc maintenant, pour les chercheurs en littérature, non seulement d’analyser les textes littéraires ce qui signifie « rouvrir les plaies du passé », mais de « sortir de l’imagerie coloniale » afin d’ »opérer un « repositionnement » qui offre aux Africains de nouvelles représentations d’eux-mêmes, de nouveaux repères. Ce mandat des enseignants est donc clairement militant, les chercheurs s’assignant le rôle d’initiateur de nouveaux modèles conceptuels et imagologiques.

 Les trois jours entiers de travaux furent dans cette ligne, les analyses commençant par de longs cadrages méthodologiques pour presque toujours glisser vers une analyse passionnée des positions des écrivains manifestées par le texte. Les textes étaient reçus comme des interpellations à se mobiliser pour, aujourd’hui, lutter contre les modèles caricaturaux des Africains de cette littérature coloniale ou post-coloniale mais encore sous le sceau de la condescendance ou de l’ »afro-pessimisme ». Les textes abordés furent français (au XVIIè, François Pichon au Cameroun, les B.D. Akim, Zemla , Tex Willer, Loti, Romain Gary, Gérard de Viliers), Antillais (Césaire, Condé), belges (Reisdorff, Hergé, et le panorama brossé par Pierre Halen), américains (Hemingway), allemands (Mein Kampf), espagnols avec une intervention très originale sur les textes datant de la présence des Espagnols en Guinée équatoriale. Dominique Ranaivoson introduisit la question de la place des Malgaches, ces « vrais-faux frères mystérieux » parmi les Africains. Mais l’intérêt était encore plus vif pour l’analyse des textes africains : Mongo Beti, Amadou Ambaté , Bernard Nanga, Aké Loba, Owono, Oyono, Beyala. D’autres analyses, données par des philosophes, sociologues, linguistes, tentaient une analyse plus large sur « la vision de la post-colonie », le langage.  Les débats furent presque tous vifs, chacun prenant très à cœur les enjeux contemporains brûlants manifestés par les idées exprimées ou sous-jacentes dans les textes et oubliant souvent le travail d’écriture, le rapport à la langue, le statut de l’œuvre selon les époques et les sociétés. Les questions centrales furent toujours : comment se débarrasser de ces images négatives encore présentes dans un discours post-colonial rampant ? Quelle part, responsabilité avons-nous ? Qui et comment proposer de nouvelles images, lesquelles, car, finalement que voulons-nous dire et montrer de nos sociétés ?
 L’exaltation enflamma plus d’une fois la salle où applaudissements et vives répliques fusaient. Il parut utile de donner une parole non programmée à un doctorant en sociologie qui recadra les débats en exhortant à sortir du « paradigme de la culpabilité » afin que les Africains puissent retrouver la liberté d’une analyse claire en vue d’une construction lucide, fidèle et responsable de l’image qui est véhiculé d’eux à travers le monde, position vivement contestée par les tenants d’une revendication de réparations des torts et des sujétions, responsables de tous les maux actuels. Enfin, brillamment ouvert, les travaux furent clos par une conférence du ministre de la culture du Cameroun, escorté des caméras de la télévision nationale dont il est le directeur. Son départ vers une autre réunion n’aura permis aucun dialogue. Outre les séances plénières, il faut retenir aussi la participation de Dominique Ranaivoson à une émission de Radio-Campus, tenu par les étudiants en journalisme de Yaoundé et munis d’un magnifique studio, les nombreuses conversations et ébauches de collaborations discutées par Pierre Halen, les interventions. Enfin, les deux susdits parlèrent le 4è jour devant des étudiants réceptifs à ces nouvelles ères (Belgique et Madagascar) et prompts à poser les questions justes d’autant plus qu’ils discernaient les parallélismes à tracer entre ces pays et le leur en matière de pluri-ethnisme et pluri-linguisme. Ce furent des travaux riches et variés mais qui ont fait apparaître davantage les positions passionnés soulevées par ces questions blessantes et ressenties comme urgentes de l’image de l’Afrique donnée à l’extérieur et des blocages internes qui semblent empêcher l’émergence d’autres schémas. L’interrogation des littératures coloniales ne fut qu’un tremplin pour s’interroger sur soi-même et sur le monde d’aujourd’hui. C’était bien cela que voulait Richard Omgba, la littérature, ancienne et contemporaine,  au cœur de la société.

      

            25 janvier 2005.