Pour N'Krumah la colonisation n'est pas une rencontre, mais un acte de
piraterie. Le philosophe et homme d'Etat africain a inversé la logique de
Miquele : le viol se prolonge par une violence symbolique qui fait de la
victime le sauvage qu'il fallait vaincre. Mais quelle est la cause de la
sauvagerie pour les colonisateurs du XVI° siècle ? Le nouveau monde est une
matière dont la forme ne peut venir que de la chrétienté. La sauvagerie est
donc un accident, un développement anormal et irrationnel de la matière. Mais
ce recours à la pensée d’Aristote revue par St Thomas d'Aquin ne peut croire en
la fatalité de l'accident car la nature n'est pas totalement corrompue par le
péché originel et les Indiens, affirmera Las Casas pour l'honneur de l'Espagne,
ont des droits naturels. Luis de Camoes, confiant en la nature, attend, à la
fin de ses Lusiades, des vertus chrétiennes enseignées à
tous les peuples, que surgissent plus sûrement de la matière des formes
libératrices. Mais le rêve du poète était déjà perverti par la folie de l’or
qui emportait ses contemporains.
La
vision protestante britannique, plus pessimiste sur la corruption de la
nature, parce que liée, certes, à l'augustinisme excessif de Calvin sur cette
question, mais aussi au sombre paganisme anglo-saxon et à de terribles
expériences historiques comme la brutalité de la vie sur la frontière celte, le
long pillage du continent européen et la guerre des deux roses, n'aura pas de
telles ressources. Dans cette culture âpre et prompte à exclure au nom de la
prédestination ou de l'intérêt sonnant et trébuchant (Juifs, Allemands,
Lombards ont été expulsés d'Angleterre), résonne le verset du Deutéronome dans
lequel se rapprochent malédiction divine, cannibalisme et désirs interdits et
incestueux : « et tu mangeras le fruit de ton sein, la
chair de tes fils et de tes filles, que le Seigneur ton Dieu t'a donnés. » (Dt, XXVIII, 53) Dans La Tempête hakespeare, Caliban
(anagramme de cannibale) est accusé des péchés qui tourmentent Prospéro, père
possessif et fusionnel. Condamné pour les turpitudes du colon, le colonisé est
déclaré oublié par Dieu et livré au pouvoir colonial. Pour Wynthrop l'épidémie
qui frappe les Indiens de Nouvelle Angleterre vient de Dieu et libère leurs
terres en faveur des puritains.