AVANT-PROPOS des
Cahiers du Sielec n°2
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Nudité et Sauvagerie – Fantasmes
coloniaux
Corps à soumettre et à marquer comme esclaves, récits de découvertes à
écrire sur la page d'un carnet pas moins vierge qu’un nouveau monde, pas moins
nu qu’un Indien, plages immaculées où planter un drapeau, terres à délimiter,
dépouilles à se répartir. Le pays est femme : Colon écrit une lettre aux deux
Rois et leur explique qu'il a presque découvert le jardin d’Eden. Ses
caravelles s’élèvent doucement vers le ciel : « Le monde n’est pas rond. Le monde est un téton de femme. Le mamelon
naît dans le golfe de Paria et monte jusqu’au ciel...au de-là de cette verdure
et de cette beauté... très haut, très loin, l’arbre de la Vie déploie son ample
frondaison et jaillit la source des quatre fleuves sacrés. L'un d’eux est
l’Orénoque. » (Eduardo
Galeano, p 78). Quatre siècles
plus tard Conrad imagine le regard de Marlow, son héros, sur l'Afrique, regard
de voyeur et de violeur : le continent, d'abord rétif, s'ouvre, comme un corps
désirant, en de larges deltas, les fleuves et rivières serpentent
sensuellement et finissent dans le calme satisfait des eaux des grands lacs
repus. Les corps ne seront donc pas moins brutalement saisis que les terres.
« A l’intérieur
d'une autre caravelle, dans la cabine du capitaine, une fille montre
les
dents...
Miquele a reçu la fille un moment plus tôt... Il la fouette avec une corde. Il
la
frappe
dur à la tête, au ventre et aux jambes... Et soudain la fille, qui semblait
évanouie
ou morte, plante ses ongles dans le dos de Miquele, se noue à ses jambes et
le
fait basculer dans une étreinte sauvage...
Ces
Indiennes sont toutes des putains. »
(Eduardo
Galeano, p 74).