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AVANT-PROPOS  des Cahiers du Sielec n°5                                        [3/4]

La question des postures d’écriture dans la lecture du rapport colonial
 
  Quand on procède à un balayage rapide des centaines de romans produits par les écrivains français d’Algérie, on est tenté spontanément d’opérer un tri dans cette production en fonction de notre connaissance du sens de l’histoire : faire ressortir ce qui était conformiste par rapport à l’idéologie coloniale ou, au contraire, insister sur ce qui relèverait d’anticonformismes prémonitoires, notamment en matière de critique du colonialisme. Ainsi, dans cette optique, la personne et l’œuvre de Isabelle Eberhard survivraient au naufrage de l’idéologie coloniale. De même, on pourrait considérer que le roman de Albert Truphémus,
Ferhat, instituteur indigène (1936), qui traduisait à la fin des années trente les attentes des « instituteurs d’origine indigène », aurait pu être écrit par l’un d’entre eux.
   Mais une telle démarche visant à distinguer le bon grain de l’ivraie dans le discours littéraire colonial est aussi simplificatrice que celle qui consiste à décider de la légitimité nationale des auteurs. Une meilleure approche consiste à prendre la production de cette époque comme un tout qui nous renseigne sur le rapport colonial et sur les hommes qui y sont impliqués, à travers les modalités propres au fonctionnement littéraire ( notamment, l’identification du lecteur à des personnages).
   La littérature de fiction est un document précieux sur le vécu subjectif et l’imaginaire du rapport colonial, à condition de le prendre pour ce qu’il est ; ce n’est pas une source d’archives factuelles, mais un témoignage sur la mise en scène, à l’époque de l’écriture, des rapports interpersonnels dans un contexte donné. En donnant de l’épaisseur au personnage représenté, la littérature est une tentative de communication avec un autre souvent méprisé dans les discours plus explicites[1]. Un autre intérêt de la littérature est la façon dont elle transgresse, consciemment ou non, certains tabous ou non-dits (sur la question raciale et sur le « choc des races » par exemple[2])
 
   Dans une ancienne étude publiée en 1974, Roman colonial et idéologie coloniale en Algérie, nous avions mis en évidence l’existence des principales postures d’écriture dérivées de la dialectique même/autre en situation coloniale, une dialectique déjà bien repérée par G. Audisio et A. Memmi, mais qu’on pouvait enrichir sur la base de travaux sémiologiques et linguistiques pour explorer toutes les positions discursives engendrées par l’opposition primaire des deux contraires même et autre. Inscrite dans un hexagone logique (Blanché), la dialectique même/autre se déclinait en six positions d’écriture, articulées deux à deux : un axe dominateur reliait le pôle même (colonisateur) à son contradictoire pas même ; un axe assimilateur reliait autre et pas autre ; enfin, un axe intégrateur opposait le pôle ni même ni autre à son contradictoire même et autre. L’étude d’un corpus d’une centaine de romans coloniaux algériens - et leur distribution entre les pôles de cet hexagone - montrait la fiabilité du modèle, et rendait assez bien compte de l’interaction des discours (y compris politiques et juridiques) dans l’espace colonial algérien. Nous avions aussi émis l’hypothèse à l’occasion de cette recherche que le genre « roman colonial » où se déployaient ces postures d’écriture pouvait être considéré comme un roman réaliste dont le moteur était la lutte des races en contexte colonial, à l’instar du roman réaliste socialiste centré sur la lutte des classes[3].


[1] Sur l’articulation entre les divers registres discursifs d’une formation culturelle, cf. notre article sur l’intertextualité des stéréotypes en situation coloniale, in Rives nord méditerranéennes, 1995, N° 10.
[2] Le « choc des races » est le titre d’un roman « tunisien » de Charles Géniaux, qui dénonce d’ailleurs les effets de ce choc
[3] Roman colonial et idéologie coloniale en Algérie, N° spécial de la Revue algérienne des sciences juridiques, économiques et politiques par H. Gourdon, J.R. Henry et F. Lorcerie, 1° trim. 1974.
Cf. aussi : « Quelques remarques sur le roman colonial algérien », par J.R. Henry et F. Lorcerie, in Cahiers de littérature générale et comparée, N° 5, octobre 1981. 
  
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