Jean-François Durand
Il va de soi que sont exclues de
cette Bible de l’humanité les cultures primitives, les peuples non
métaphysiques. Près d’un demi-siècle plus tard, Ernest Psichari, contemporain
et ami de Chevrillon et de Péguy, ne s’écartera pas de ce lieu commun du XIXème
siècle philosophique lorsqu’il découvrira en 1906 au Congo, la nudité première
du monde, le silence écrasant de la nature primitive: “C’est le silence unique
de l’Afrique. Il semble une grande attitude de néant” (13). Mais ce silence est
aussi celui de peuples sans écriture et sans métaphysique -aussi étonnante que
puisse sembler aujourd’hui cette affirmation- encore confondus avec
l’élémentaire, même si dans la suite de son récit (14) Psichari sera amené à
nuancer son affirmation première: “Ici, le silence est énorme, total et, malgré
qu’il interdise une certaine intimité que nous cherchions, il est bien le
charme subtil et malfaisant de ce pays (...). On ne saurait imaginer une terre
plus dépourvue de métaphysique que celle-ci” (15). L’absence de métaphysique
suggère, dans tout le livre de Psichari, le climat dominant d’un état sauvage
qui toutefois l’intrigue car, contrairement à tant d’autres coloniaux, il ne voit
pas dans cette primitivité le signe, par exemple, d’une absolue uniformité des
êtres, d’un manque de singularité individuelle (16). En pays Baya, il est
sensible à ce qu’il appelle “le parfum particulier des âmes” (17), et c’est ce
qui le conduit d’ailleurs à fantasmer les origines Baya. Dans un passage très
significatif, il imagine que celles-ci puissent être orientales, et que la
primitivité actuelle soit par conséquent l’aboutissement d’une longue décadence
historique: “Plusieurs traits nous attestent l’antiquité de la race (...). Mais
qui sait si ce peuple n’eut pas des destinées glorieuses? (...) Qui sait si,
dans des temps antérieurs, la splendeur de l’Orient n’a pas ébloui ses yeux...”
(18).