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Présentation de la société
Les littératures de l'ere coloniale
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Les voies insolites de
l’initiation soufie de Mahmoud Saadi / Isabelle Eberhardt
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L’appel du muezzin
Ce n’est pas à l’intérieur d’une mosquée, ni lors de la lecture du
Coran ou même au cours d’une discussion avec des musulmans que prend forme
l’attrait pour l’islam dans les récits d’Eberhardt. Autrement dit, ce n’est pas
par le biais du discours, de la doctrine, de la méditation sur le sens de la
spiritualité que celle-ci est appréhendée en premier lieu. Cet «appel» se
manifeste d’abord et avant tout au-dehors, sous une forme chantée, tel un écho
qui se propage dans l’espace, grâce à une voix qui se découpe dans le silence
de l’aube, dont les inflexions harmonieuses rejoignent les sons de la nature
environnante:
Aussitôt, comme en rêve
encore, lentement, sur un air très triste et très doux, il commença son appel.
Sa voix jeune et
parfaitement modulée semblait descendre de très haut, planer dans le silence de
la ville assoupie.[…] De loin, d’autres voix lui répondirent, tandis que dans
un jardin voisin, des oiseaux se réveillaient et commençaient, eux aussi, leur
hymne d’action de grâces à la Source de toutes les vies et de toutes les
lumières. (p. 34)
Réveillée
par l’appel à la prière du muezzin, la narratrice
passe du
rêve au chant qui s’intègre parfaitement à la
marche de l’univers. Aspirant au
calme, au repos, après les tourments connus en ville, elle
trouve dans cette
simplicité des bienfaits inestimables : «Cette vie
et ce calme interrompu
parfois par le chant mystérieux me plongent dans une
mélancolie douce. Je
m’abandonne entièrement au repos de l’âme
enfin trouvé.» (p. 36) C’est en
cheminant dehors, d’un village à un autre, en observant
les allées et venues,
les cortèges funèbres, les paysages chamarrés de
l’aube ou du maghreb, qu’elle
perçoit «l’âme» de l’islam,
toujours associée dans ses écrits à la paix :
Je me souviens aussi de la
paix profonde, infinie, qui était descendue dans mon âme, ce soir-là, tandis
que je traversais les villages maraboutiques d’Elbeyada et d’Elakbab, inondés
des derniers rayons du couchant… Et cependant, en quelle angoisse, en quelles
circonstances cruelles j’étais venue là ! Mais est-ce que toutes ces
matérialités, toutes ces misères éphémères, touchent les âmes des
initiés ? On peut, à certaines heures bénies, faire abstraction de toutes
les circonstances douloureuses et se livrer à d’autres impressions, celles que
nous portons en nous et celles qui nous viennent de l’Inconnu, à travers le prisme
sublime du vaste Univers ! (p. 107)
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