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Les Terrasses de Tombouctou, ou La ville dans le désert :
L’imaginaire chez Robert Randau                                                             [5 /11] 

   Tombouctou est une ville faite de glaise mêlée d’eau, de boue pétrie en briques séchées sous le soleil ; c’est « un village nègre, pétri dans du mauvais terreau malaxé avec du fumier »1. L’auteur le disait déjà dans Le Commandant et les Foulbé : « Tombouctou, bâtie de boue, rutilait sous le soleil dévorateur »2. Ainsi au ciel traditionnellement la terre est opposée comme à l’esprit le plus exigeant, la chair. Si la ville, telle qu’on la voit de loin, sépare le désert du ciel, pareille à un trait d’union qui tranche et rassemble en même temps, pour ceux qui y vivent elle n’est qu’un bloc de terre informe ; rien ne se détache vraiment de cette masse à peine différenciée du sable sur lequel elle est bâtie, les couleurs, ocre ou brun, se fondent l’une dans l’autre et aucune ligne ne s’en distingue, que l’œil pourrait suivre. Rien ne monte vers le ciel car le ciel au contraire écrase tout de son soleil qui dévore, sa lumière « vorace » est une menace.
   Dans cette lumière les murs pourraient briller ; mais « le ciel trop lourd de bleu, hypertrophié par le soleil, s’est cassé, éparpillé sur les maisons qu’il abolit ». La ville a du mal à exister ; le ciel qui pèse sur elle efface ses maisons. Reste les terrasses, les mêmes que décrit Albert Londres: « On a parlé des terrasses de Tombouctou. On a bien fait. Cependant, ne vous montez pas l’esprit, ces terrasses sont sans fleurs, sans jets d’eau. Ce sont les plafonds des cases sans toit. Elles ne sont pas de marbre mais de boue. »3. C’est sur l’une de ces terrasses que Mado attend le lieutenant Dominic qui va se déclarer à elle. Ils vont bientôt se marier. Est-ce pour être heureux ? Les terrasses, à Tombouctou, ont, chez Randau, une signification particulière : elles abritent généralement les amours illicites.
   « Tu n’empêcheras pas, à moins de les tuer, le crapaud de se rendre à la mare et les femmes de Tombouctou de flâner sur les terrasses », a dit, philosophe, un cadi au lieutenant Dominic qui se plaint de l’infidélité des femmes, tandis que l’instituteur s’exclame un peu plus loin, moralisateur et véhément : « C’est pas propre, croyez-moi, ce qui se passe sur les terrasses »4.
   Ces amours sont donc très peu fidèles mais les femmes, pour Randau, ne paraissent jamais dignes de confiance. Ce qui compte plutôt ici, c’est que tout cela se passe sur les terrasses, tout en haut, dans ces parties supérieures de la maison qui, comme le grenier pour Bachelard, par exemple, sont liées aux élans créatifs, à l’évasion spirituelle, à l’envol d’un désir en quête d’âme et non tourné vers la chair. Le désert dans son ensemble suscite généralement de pareilles images en littérature. Ce n’est pas le cas apparemment chez Robert Randau. La ville ramassée sous trop de lumière est faite de terre, de boue même ; en elle rien de léger, rien d’aérien. Ce qui va surgir entre ses murs ne répondra pas aux aspirations de l’esprit ; ce qui vient du désert jusque dans la ville n’appartient pas au domaine de la poésie ni au rêve mais bien plutôt au cauchemar.  
___ 
1 Randau R., Les Terrasses..., p. 112.
2 Randau R., Le Commandant et les Foulbé, p. 335.
3 Londres A., Terre d’ébène, p. 99.
4 Randau R., Les Terrasses..., p. 33 et p. 62.    
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