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Les Terrasses de Tombouctou, ou La ville dans le désert :
L’imaginaire chez Robert Randau                                                             [4 /11] 

Les terrasses
   
   Les Terrasses de Tombouctou
ne se présente pas comme un roman à proprement parler mais plutôt comme une pièce de théâtre, le livre n’étant fait que de dialogues entre des personnages pris essentiellement dans des décors fermés. Le thème en est simple, on pourrait même ajouter, il n’y a pas d’histoire. Le lieutenant Dominic, en poste à Tombouctou, est amoureux de Madou, la fille de l’administrateur Sarat. Il décide de l’épouser. Elle répond à son amour et tout y irait donc pour le mieux si la grippe espagnole ne venait pas frapper la ville. La première victime, celle par qui l’épidémie entre à Tombouctou, est la propre mère de Madou qu’elle ne verra que morte. Son père l’administrateur s’est en effet séparé de sa femme volage peu de temps après la naissance de l’enfant qu’il a gardée avec lui.
   Le deuxième thème, de la première à la dernière page, est l’infidélité des femmes, noires ou blanches, que ce soit Fatou, la compagne indigène de Dominic, qu’il chasse après avoir découvert son inconduite, la mère de Madou ou, plus généralement, les épouses des fonctionnaires en poste dans la ville.
  Un troisième thème, ou est-ce le sujet principal du récit, est la description des moeurs coloniales, de l’administration et de l’armée toutes deux représentées par des êtres ridicules, assez peu compétents et usés physiquement par le climat, l’alcool et diverses maladies.
Ce dernier aspect, le regard critique porté sur une société réduite, très marquée par son existence en terre africaine, qui est aussi sa raison d’être, est renforcé par l’attribution de l’œuvre à un soi-disant poète targui, cet Amessakoul ag-Tiddet qui disparait cependant de la couverture et de la page de titre de la deuxième édition, Robert Randau se présentant alors dans la préface comme l’ami d’Amessakoul qui lui aurait confié l’histoire qu’il adapte du tamachek au français.
   Il peut sembler paradoxal, au premier abord, que l’auteur, acteur et soutien de la colonisation française, se montre aussi peu complaisant dans sa présentation de personnages qui ne pensent qu’à boire et à forniquer. Ce sont plus, d’ailleurs, des symboles de chaque catégorie coloniale, le docteur, l’instituteur, un sergent, le receveur des postes, ou des figures à peine esquissées dont le nom déjà annonce l’aspect caricatural (le lieutenant Grosdéduit, Mme Lanyoli), que de véritables caractères. Au reste, Robert Randau a écrit d’autres satires de la vie coloniale, Le Chef des Porte-plumes, Le Grand patron, L’Homme qui rit jaune... L’œuvre cependant ne semblerait guère intéressante à étudier s’il n’y avait autre chose, l’évocation de Rabelais, peut-être (Roland Lebel dans ses Etudes de littérature coloniale, cite F. Baumal qui, en 1924, appelait Randau « Rabelais l’Africain »), mais surtout ce qui, de l’aveu de l’auteur même, aurait pu retenir l’attention de Freud : les fantasmes, l’affleurement d’un inconscient, l’envers de l’histoire.
   Cette autre face du récit se révèle de manière claire ou au contraire se dissimule derrière les mots. Elle apparaît parfois dès les descriptions du paysage, d’une ville, de la nature, des rues ou des maisons quand une simple épithète vient discrètement saper ce que la phrase fondait apparemment. L’ombre ainsi découverte contredit la partie éclairée.
Tombouctou se dessinait devant Félix Dubois comme une ligne sombre séparant la terre du ciel, terre et ciel immenses, étincelants. Paul Adam décrit pareillement le paysage qu’il a devant les yeux : « Brusquement, le terrain se dénude. Il s’affaisse. Il découvre, sous l’incandescence, la ligne grise d’une longue ville aux façades graves ; et, plus loin, l’espace infini du désert qui vibre, qui scintille »1. Dans ces notations, rapides certes, la ville n’en est pas moins ce trait plus obscur qui s’oppose à l’extrême clarté du désert et du ciel au-dessus ; elle introduit comme une cassure. Pour Dubois la brisure est celle du rêve, d’une légende que la réalité fait voler en éclats. Paul Adam se remémore l’histoire de Tombouctou où s’arrête ce qu’il perçoit comme « la joie de l’Afrique ».
   Il est difficile de dire comment Robert Randau voit Tombouctou. Il ne découvre pas la ville tel un voyageur qui viendrait de traverser le désert. Il se trouve déjà à l’intérieur des murs de la cité. A peine, dans l’une des toutes dernières pages de son récit donne-t-il un aperçu du décor : « Par les baies [d’une pièce, chez l’administrateur] on découvre le panorama de Tombouctou : une masse brune de glaise écrasée sur une éminence de sable ocreux que cernent de maigres arbustes épineux ; sur cette glaise se détache à peine, dans la lumière vorace, l’entrelacs des murs, des arêtes, des clôtures. »2.
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1 Adam P., op. cit., p. 325.
2 Randau R., Les Terrasses de Tombouctou, p. 169    
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