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Des Blancs en perte d'identité en Afrique coloniale              [ 3/7]

   Et les écoles! N'en parlons pas! Des écoles qui «n'enseignent rien de l'homme ni des Dieux»[1]. Et la justice! Quel égarement! Selon Randau, la justice française loin de libérer, consterne. Il remarque que la conscience des chefs de clans oscille, chancelle et s'inquiète de saisir la nature et la portée de ce que les blancs définissent par bien et par mal. Souvent le blanc, en audience, incarne l'angoisse dans le paysage, la «chose de trouble, la manière inconnue, un prétexte à penser»[2]. La médecine, comme les vaccinations, sur quoi repose la fierté des civilisés sont vécues comme «sorcellerie de blancs»[3]. Et les papiers qui gouvernent les blancs, représentent pour les noirs des «gris-gris d'aveuglement»[4] et portent à la défiance. En fait, une symbolique (du noir) est toujours là, dans le cosmos, la nature, le végétal, l'animal et l'homme. Cette symbolique de mœurs et de coutumes incarne un invisible omniprésent qui caractérise l’environnement et domine le système relationnel jusque dans le désir de réciprocité d’estime du blanc.
   En effet, lorsque le colonial, tourmenté par son manque à être, cherche dans la relation sexuelle avec l’Autre, la quête avouée d’un désir de reconnaissance, il se heurte à l’imperméabilité d’un sens qui lui échappe. Quoiqu’il fasse l’homme blanc n’arrive pas à réveiller les sens de la femme noire. Après les premières étreintes de l’amour, et les suivantes, Aissata la petite esclave-concubine de Frantz affichera «la même profondeur enfantine, le même calme impénétrable»[5], le même éclat virginal. Il en de même pour Toum qui constate que les blancs ont beau «porter les attributs de l’homme»[6], ils n’en restent pas moins de «piètres amoureux»[7]. Seuls des hommes de leur race réveilleront leurs sens.
   Cette symbolique qui n’est que le «noyau éthico-mythique»[8] des représentations de base d’un peuple reste foncièrement étrangère à l’habitus de l’européen et agit alors comme une rupture discontinue dans son propre champ de conscience. En le déniant lui, ses pensées et ses actes, elle annule la portée de ses tâches. Le but à atteindre s'annihile dans d'interminables compromissions de situations insolubles où le plus souvent, il faut désobéir pour obéir. L'effort à fournir s'anéantit dans la finalité du but poursuivi où affronter et «vaincre»[9], entre autre les sorciers, devient «l’occupation nécessaire de l’esprit»[10]. Face aux campagnes de répressions dangereuses, pénibles et sans gloire, couronnées de victoires vides de sens, semblables aux guerres de brousse et de forêts dans ce qu’elles ont d'imprévisible et d’indéterminé par rapport au lieu et d’invisible par rapport aux gens, seulement audibles, la volonté de réussir et le désir de gloire ne motivent plus l’européen en mission dont «cette lutte contre un ennemi sans corps»[11] l’énerve. Devant le chaos qui lui est soudain révélé, les contraintes de ses tâches sont si démesurées que l'idéal de ce qu'il fait ne le soutient plus et il constate que ce n’est pas une «Idée»[12] qu’il donne à un pays, mais «c’est lui- même. Et qu’est-ce qu’il était lui, le blanc»[13], et surtout à quoi servait-il dans ce pays qui semblait «puiser une santé générale dans les malaises individuelles»[14]. C’est la confrontation à l'Autre si déstabilisante qui provoque des doutes, des interrogations et des retours sur soi et transforme le caractère de la mission coloniale en une quête d’identité individuelle.

[1] Ibid., p. 207.
[2] Randau, Robert, op. cit., 1931, p. 88-89.
[3] Delavignette, Robert, op. cit., 1926, p. 233.
[4] Randau, Robert, op. cit., 1935, p. 68.
[5] Vigné d’Octon, Paul, op. cit., 1889, p. 173.
[6] Delavignette, Robert, op. cit., 1926, p. 126.
[7] Ibid.
[8] Ricoeur, Paul, op. cit., 1955, p. 296.
[9] Delavignette, Robert, op. cit., 1931, p. 83.
[10] Ibid.
[11] Farrère, Claude, op. cit., p. 241
[12] Delavignette, Robert, op. cit., 1931, p. 131.
[13] Ibid
[14] Ibid., p. 202.
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